L'armée ukrainienne a appelé vendredi le président Viktor Ianoukovitch à prendre «des mesures d'urgence», suscitant des craintes en sortant de sa réserve alors que le pays est dans l'impasse politique après plus de deux mois d'une contestation sans précédent.

Les militaires avaient par le passé souligné qu'ils n'interviendraient pas dans cette crise qui divise le pays et dans laquelle certains commentateurs ont vu la possibilité d'une guerre civile.

Ce nouveau rebondissement intervient sur fond d'enlisement politique complet dans cette ancienne république soviétique où pouvoir et opposition s'accusent mutuellement d'envenimer les choses, tandis que le chef de l'État est officiellement depuis jeudi en «arrêt maladie».

Dans un communiqué publié sur le site internet du ministère de la Défense, les militaires ont «appelé le chef suprême des armées (le président, ndlr) à prendre des mesures d'urgence (...) pour stabiliser la situation dans le pays».

Ils ont «jugé inacceptable la prise d'assaut de bâtiments publics» et jugé que l'escalade de la contestation «menace l'intégrité territoriale» de l'Ukraine.

Le président Ianoukovitch, qui a renoncé en novembre à un accord d'association avec l'Union européenne pour se tourner vers la Russie, est majoritairement soutenu par l'Est et le Sud russophones du pays, alors que l'opposition pro-UE l'est dans les provinces nationalistes de l'Ouest, où les manifestants occupent le siège des administrations régionales.

On ignorait toutefois pour l'instant quelles mesures concrètes réclamait l'armée, alors que le pouvoir s'est refusé jusqu'à présent à proclamer l'état d'urgence.

Pour Vadym Karassev, qui dirige l'Institut des Stratégies mondiales de Kiev, si cette déclaration des militaires montre leur fidélité au président, elle «ne signifie pas que les manifestants (...) vont être dispersés ou que l'état d'urgence va être décrété».

Les États-Unis veulent reprendre la main

Alors que la situation s'enlise dans le pays, les États-Unis ont paru vouloir mettre leur poids dans la balance, rejoignant les Européens qui ont multiplié les missions de médiation et les déclarations depuis deux mois.

Geste de taille à l'égard de l'opposition, le secrétaire d'État américain John Kerry doit ainsi rencontrer samedi ses dirigeants, dont l'ancien champion de boxe Vitali KLlitschko et l'ex-ministre Arseni Iatseniouk en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich.

Des responsables russes ont déjà réagi, comme le vice-premier ministre Dmitri Rogozine qui a qualifié cette rencontre de «cirque».

Les Européens, qui craignent de voir dégénérer ce conflit qui a fait au moins quatre morts et plus de 500 blessés, ont exhorté ces derniers jours toutes les parties à l'apaisement.

En plein centre de Kiev, sur la place de l'Indépendance, ils étaient vendredi, par moins 20 degrés, une poignée de militants de l'opposition à continuer à «monter la garde», tentant de se réchauffer autour de braseros .

«Nous resterons jusqu'à la complète capitulation du pouvoir», et le départ du président Ianoukovitch, proclame Micha, la cinquantaine, employé dans l'industrie du bois.

Le pouvoir et l'opposition se rendent mutuellement responsables de l'enlisement de la situation.

Le gouvernement ukrainien a démissionné mardi sous la pression de la rue, des lois répressives et contestées ont été abrogées, et une amnistie votée pour les manifestants interpelés, mais les opposants ont refusé la condition qui leur était posée : quitter les bâtiments et les rues occupés dans les 15 jours.

Méfiants, les opposants soupçonnent M. Ianoukovitch de vouloir gagner du temps.

Celui-ci a d'ailleurs été déclaré jeudi matin indisponible par son service de presse en raison d'une «maladie respiratoire aiguë».

Mais dans un communiqué il a accusé les leaders de l'opposition de ne servir que leurs «ambitions politiques».

De leur côté, les trois principaux chefs de l'opposition, Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et le nationaliste Oleg Tiagnybok, ont affirmé dans une déclaration commune que M. Ianoukovitch avait violé la Constitution.

Par ailleurs, un militant ukrainien très actif contre le pouvoir, Dmytro Boulatov enlevé le 22 janvier et relâché jeudi soir par ses ravisseurs dans une forêt, a raconté vendredi avoir été torturé pendant une semaine.

L'opposition a dénoncé un nouveau cas d'«intimidation» après plusieurs autres agressions, passages à tabac et enlèvements d'opposants, dont un est mort.