Le secrétaire d'État américain John Kerry rencontrera samedi les principaux dirigeants de l'opposition ukrainienne, alors que le pays est toujours enlisé dans la crise.

Samedi après-midi, en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich, M. Kerry «aura l'occasion d'avoir sa première rencontre avec les figures principales de l'opposition ukrainienne», a déclaré jeudi soir un responsable du département d'État, juste avant le départ de M. Kerry pour un déplacement de trois jours en Allemagne.

Pendant ce temps les manifestants pro-européens continuent d'occuper le centre de Kiev, alors que le pouvoir et l'opposition se sont mutuellement accusés jeudi d'être responsables de la poursuite de la crise.

Le chef de l'État ukrainien, confronté depuis deux mois à un mouvement de contestation sans précédent qui a abouti mardi à la démission de son gouvernement, et aux pressions croisées de la Russie et de l'Union européenne, a été déclaré jeudi matin indisponible par son service de presse en raison d'une «maladie respiratoire aiguë».

Dans un communiqué, il a accusé l'opposition d'«envenimer la situation» en appelant la population à continuer de manifester «en raison des ambitions politiques de quelques-uns de ses dirigeants».

De leur côté, les trois principaux chefs de l'opposition, Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et Oleg Tiagnybok, ont affirmé dans une déclaration commune que M. Ianoukovitch avait violé la Constitution: ils lui ont reproché d'avoir exercé un «chantage» sur les députés de sa propre formation politique, le Parti des Régions, pour qu'ils votent, mercredi, malgré les réticences de certains d'entre eux, une loi accordant l'amnistie aux manifestants arrêtés.

D'après le texte publié jeudi de cette loi, exigée par l'opposition pour les dizaines de manifestants interpellés et adoptée mercredi par la majorité favorable à M. Ianoukovitch au Parlement, le pouvoir a en fait adressé une sorte de nouvel ultimatum aux opposants.

Pour que l'amnistie entre en vigueur, il est en effet imposé aux manifestants qu'ils évacuent d'abord dans les 15 jours les rues, places et bâtiments administratifs occupés à Kiev et dans plusieurs régions, ce que refuse l'opposition.

Un responsable de l'administration présidentielle, Andriy Portnov, a précisé que les manifestants pourraient cependant continuer de se réunir sur la Place de l'Indépendance, dans la capitale, «pour y protester pacifiquement».

Ce lieu symbolique et névralgique de la contestation, aussi connu sous le nom de Maïdan, est occupé nuit et jour, parsemé de tentes et de braseros, auxquels se sont ajoutées de hautes barricades.

Les militants présents dans le centre de Kiev ne donnaient d'ailleurs aucun signe de vouloir partir malgré le froid perçant à moins 20 degrés.

«J'ai le sentiment que cet homme veut nous arnaquer et essaie seulement de gagner du temps. Mais nous n'allons pas le laisser faire», a dit au quotidien allemand Bild, en parlant de M. Ianoukovitch, l'ancien boxeur Vitali Klitschko.

«Le président peut utiliser son arrêt-maladie pour ne pas promulguer l'abrogation (mardi par les députés, ndlr) des lois +dictatoriales+ (punissant de lourdes peines les manifestants, ndlr), ne pas rencontrer les représentants de l'opposition et ceux de la communauté internationale - et éviter de prendre des décisions urgentes pour faire sortir le pays de la crise», a écrit dans un communiqué le parti de M. Klitschko

Pressions internationales

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a exhorté jeudi M. Ianoukovitch à «tenir les promesses» faites à l'opposition». La chancelière allemande Angela Merkel doit recevoir vendredi le premier ministre polonais Donald Tusk pour évoquer la situation en Ukraine.

Les Européens, qui craignent de voir dégénérer ce conflit ayant fait au moins quatre morts et plus de 500 blessés, selon un nouveau bilan officiel, ont aussi adressé un message d'apaisement à toutes les parties.

Le président français François Hollande a ainsi recommandé «la plus grande vigilance», face aux risques de confrontation. «Nous devons tout faire pour rétablir le dialogue et favoriser l'apaisement», a-t-il dit.

Le président américain Barack Obama a pour sa part souligné que les États-Unis défendaient le droit des Ukrainiens de «s'exprimer librement et pacifiquement». Des discussions étaient par ailleurs en cours jeudi soir entre le Congrès et le gouvernement américain la possibilité d'imposer des sanctions contre l'Ukraine. «Aucune décision n'a été prise», a toutefois déclaré la porte-parole du département d'État, Jennifer Psaki.

La Russie, qui a vivement dénoncé ce qu'elle perçoit comme des ingérences européennes en Ukraine, a affiché sa circonspection à l'égard des changements en cours à Kiev.

Vladimir Poutine a estimé qu'il fallait «attendre la formation du nouveau gouvernement», avant de continuer de mettre en oeuvre l'aide économique de 15 milliards de dollars accordée en décembre à ce pays après qu'il eut renoncé à s'associer à l'UE.

L'Ukraine, au bord de la cessation de paiements, a un besoin aigu de soutien financier pour faire face à ses obligations.

Des chiffres publiés jeudi ont indiqué que seul un rebond au quatrième trimestre 2013 lui avait permis d'enregistrer une croissance nulle, après cinq trimestres successifs de recul de son PIB.