Près de six mois après la fermeture de neuf bureaux de tabac sur dix, la Hongrie vante les résultats de sa politique anticigarette, mais les contrebandiers se frottent les mains.

Le nombre de débits a chuté en juillet de 42.000 à 5.300 seulement, tandis que le prix des cigarettes passait de 750 à 1000 Forints (3,40 à 4,50$) le paquet, contre 500 forints (2,30$) au marché noir.

Le nombre des fumeurs a baissé de 200 000 personnes en un an, dans un pays de dix millions d'habitants, où 46% des hommes et 34% des femmes fument, selon des chiffres annoncés en novembre par le secrétaire d'État à la santé Miklos Szocska.

Mais la réforme a ses revers, contre lesquels des experts avaient mis en garde: le développement d'un marché noir alimenté par des arrivages d'Ukraine et du Bélarus.

Difficile d'évaluer précisément la hausse de la contrebande. Seule indication tangible, recueillie par l'AFP auprès de l'administration des impôts et des douanes : 68 millions de cigarettes de contrebande avaient été saisies en 2012. Pour les dix premiers mois de 2013 -incluant donc quatre mois sous le régime réformé-, les saisies atteignent 85 millions de cigarettes.

A Nyiregyhàza, une ville de 120 000 habitants près de la frontière ukrainienne, un contrebandier assure que les affaires n'ont jamais été aussi bonnes.

Les cigarettes, explique-t-il à l'AFP sous couvert de l'anonymat, arrivent dans des barques qui traversent la rivière Tisza à hauteur de Tiszabecs, une ville-frontière avec l'Ukraine située à 320 km de Budapest.

«Nous n'avons même pas besoin de monter à bord», dit-il: «Nous tirons les embarcations par des cordes d'une rive à l'autre. Les boîtes sont bien emballées pour être étanches».

«Nous vendons plusieurs centaines de cartouches par jour», assure un autre jeune contrebandier rencontré dans un parking près du marché de la ville.

«Fumer n'est plus chic»

Nora Ritok, directrice de l'ONG Igazgyöngy, qui s'occupe de l'aide aux familles pauvres du nord-est de la Hongrie, met en doute le recul de 200 000 du nombre de fumeurs dans le pays.

«Dans de nombreux villages, il n'y a aucun point de vente, mais je ne crois pas que les gens fument moins, déplore-t-elle : «Ils fument presque tous ici. Souvent les enfants commencent dès l'âge de 12 ans, surtout les garçons».

A Budapest, le gouvernement claironne la réussite de son plan antitabac, dont la réforme de la distribution et la hausse des prix ne sont que les mesures les plus récentes. Les cigarettes avaient été bannies début 2013 des abribus, après les restaurants et tous les lieux publics.

Toutes ces mesures ont eu indéniablement un impact sur la consommation de cigarettes, surtout des fumeurs occasionnels, témoigne le pneumologue Janos Murci. De plus, «fumer n'est plus chic» à Budapest, ajoute-t-il.

Certains ont des raisons purement politiques de se libérer des emprises de la nicotine: «J'ai fumé depuis l'âge de 16 ans et n'ai jamais réussi à arrêter», raconte Marianna Német, une retraitée de 67 ans. «Cette fois je pense avoir trouvé la motivation nécessaire (...) je ne veux pas dépenser d'argent dans ces boutiques nationales, pour les copains du parti», dit-elle. La plupart des points de vente ont en effet été redistribués à l'occasion de la réforme à des proches du Fidesz du Premier ministre Viktor Orban.

La vigoureuse croisade antitabac a valu au chef du gouvernement, plus habitué aux critiques internationales, d'être décoré cet été par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Mais la fermeture des débits de tabac a eu une conséquence inattendue... sur la vente de la presse.

Depuis l'été, les kiosques à journaux ne peuvent plus vendre de tabac, alors que les points de ventes de cigarettes ne distribuent pas de journaux, ou seulement un assortiment très limité.

Les plus importants quotidiens du pays, Nepszabadsag, Blikk ou Magyar Hirlap ont ainsi perdu près de 13% de leurs ventes au dernier trimestre 2013 sur un an.