D'abord, il y a eu un élément déclencheur: des compressions dans le financement des services de planification familiale, décrétées sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Ensuite, un constat: malgré les apparences, la cause de l'égalité des femmes est loin d'être gagnée en France.

Puis, il y a eu la rencontre de sept femmes dans la vingtaine, qui ont décidé de reprendre le flambeau du féminisme, mais avec les moyens du XXIe siècle. Pour qu'il n'y ait aucune confusion sur la nature de leurs intentions, elles se sont regroupées sous le chapeau «Osez le féminisme», OLF pour les intimes.

C'était important de mettre le mot «féminisme» à l'avant-plan, explique Julie Muret qui, à 35 ans, est l'une des doyennes du groupe - et l'une de ses trois porte-parole.

«Nous voulions nous réapproprier le terme, qui avait une image négative. C'était un mot qui sentait le soufre.»

Dès sa toute première campagne, contre la case «mademoiselle» dans les documents officiels, OLF se fait remarquer. Une circulaire administrative finira par faire tomber cette appellation en désuétude.

D'autres campagnes ont suivi: pour le rétablissement d'un ministère des droits des femmes, la parité ministérielle, l'augmentation du nombre de places en garderie, la nomination de femmes au Panthéon et au Conseil constitutionnel.

Des cibles précises qu'OLF aborde avec deux armes: les réseaux sociaux et l'humour. Une des affiches de la campagne de féminisation du Conseil constitutionnel montre un panda - espèce en voie de disparition, tout comme les femmes au sein de l'organisme.

Une série de vidéos rigolotes inverse les rôles féminins et masculins au bureau et à la maison. Le blogue Vie de meuf (femme en argot) permet aux femmes de ventiler leurs frustrations. Les meilleures entrées seront regroupées sous le titre Le petit livre du sexisme illustré.

Pour asseoir sa crédibilité, OLF s'appuie sur des statistiques incontestables: écart salarial de 27% en faveur des hommes, 80% des tâches ménagères accomplies par les femmes, 18% de femmes à l'Assemblée nationale (depuis 2012, c'est 26%.)

Avec leurs actions ciblées, leurs slogans toniques et leurs préoccupations qui rejoignent celles des femmes de leur génération, les filles de l'OLF font entrer une bouffée d'air frais dans le paysage féministe traditionnel. Un premier reportage de deux pages dans Libération les projette à l'avant-scène médiatique. Elles y sont toujours. Quatre ans après sa création, le mouvement compte 1200 membres, et une vingtaine d'antennes régionales. OLF est devenu un interlocuteur incontournable.

Ses fondatrices se perçoivent un peu comme les suffragettes de la fin du XIXe siècle, des militantes qui croient aux coups d'éclat pour faire avancer les choses.

Leur stratégie fait mouche. Trois femmes ont été nommées au Conseil constitutionnel. Les prochains candidats au Panthéon seront des... candidates. Et puis, l'Assemblée nationale vient de voter la nouvelle loi sur la prostitution. Membre d'un collectif «abolitionniste», OLF a joué un rôle clé dans cette bataille.

«C'est notre plus grande victoire», se réjouissait Julie Muret, cette semaine. Elle ne se fait pas d'illusions: le débat se déplace maintenant vers le Sénat, et il sera rude.

Comme plusieurs de ses compagnes, Julie Muret a frappé le mur des inégalités en arrivant sur le marché de travail. Documentaliste, elle a vu dès son premier stage qu'en France, l'avenir ne se décline pas de la même façon au féminin et au masculin. «Très vite, les chemins divergent.» Il y a des discriminations subtiles, des attentes à géométrie variable selon le sexe.

«Les lois sur l'égalité existent, mais elles ne sont pas toujours appliquées, déplore Julie Muret. Beaucoup d'employeurs trouvent encore que c'est un poids d'embaucher une femme.»

Au pays de Simone de Beauvoir, les mentalités n'évoluent pas vite. «On a l'impression que tout va bien, mais la France est en retard, c'est un pays très macho.»

Porté à bout de bras par des bénévoles, financé en grande partie par ses membres, OLF est en pleine crise de croissance. Il est question d'embaucher un premier employé, d'ouvrir un vrai bureau.

De nouvelles batailles pointent à l'horizon de 2014. Dont celle contre le «sexisme à la fac» et les cérémonies de bizutage dégradantes pour les étudiantes.

Et le foulard islamique? Julie Muret soupire: le fichu voile. La question du hijab divise son mouvement. Il y a celles qui n'y voient qu'un symbole d'oppression à proscrire. Et celles qui veulent inclure les femmes musulmanes - voilées ou pas. Incapables de s'entendre entre elles, ces néo-féministes ont décidé de ne pas prendre position sur ce sujet. Elles ont balayé le hijab sous le tapis.