Les députés français ont adopté vendredi soir un article de loi controversé pénalisant les clients des prostitués, mesure-phare d'une proposition de loi que certains craignent contreproductive.

Les députés ont voté à main levée la disposition la plus controversée du texte, celle qui punit l'achat d'actes sexuels d'une contravention de 1500 euros. Le texte dans son ensemble sera voté le 4 décembre.

En cas de récidive, l'infraction deviendra un délit puni d'une peine d'amende 3750 euros dans «un souci de pédagogie et de dissuasion, graduelle et progressive», selon un amendement voté.

Alternative à l'amende ou sanction complémentaire, un «stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels» est prévu.

En dépit des réticences de deux députés UMP (droite, opposition), Marie-Louise Fort et Philippe Goujon, les députés ont abrogé le délit de racolage passif qui pénalisait les prostituées, une mesure réclamée par ces dernières.

Ils ont aussi voté des mesures d'accompagnement social pour celles qui veulent quitter la prostitution, qui seront alimentées par un fonds de 20 millions d'euros par an. Les étrangères engagées dans ce «parcours de sortie» chapeauté par une association agréée pourront prétendre à un titre de séjour de six mois, éventuellement renouvelable.

Les députés ont enfin voté un amendement aggravant les sanctions en cas de violences, d'agressions sexuelles ou de viols de prostituées qui seront considérées comme des «personnes vulnérables», comme le sont déjà les personnes handicapées ou les femmes enceintes.

Après «l'affaire DSK» qui a fait couler de l'encre sur les moeurs d'un pays considéré comme tolérant à l'égard du libertinage, le débat s'est cristallisé durant des semaines dans la société sur la légitimité des pouvoirs publics à légiférer sur un sujet d'ordre privé mais aussi sur l'idée selon laquelle les prostituées sont des victimes sous le joug de violents réseaux mafieux.

Dans une société à peine remise de ses divisions sur un autre débat touchant la sexualité, celui du droit au mariage des homosexuels, les «pro» et «anti» pénalisation se sont affrontés à coup de lettres ouvertes et de pétitions allant jusqu'à la provocation sur un sujet tabou alimentant les fantasmes depuis la nuit des temps, entre légalisation des «bordels» en 1804 et fermeture des maisons closes il y a presque 70 ans.

À l'ouverture du débat parlementaire vendredi, la rapporteure du texte, la députée socialiste Maud Olivier, a lancé les hostilités en s'en prenant à «l'hypocrisie» des opposants à cette proposition de loi.

«Il suffirait qu'une seule prostituée se dise libre pour que l'esclavage des autres soit respectable et acceptable?», a-t-elle ironisé. «Comment trouver glamour les 10 à 15 pénétrations par jour subies par les prostituées contraintes pour des raisons évidemment économiques avec des conséquences dramatiques sur leur santé?», a-t-elle ajouté.

«Dire que les femmes ont le droit de se vendre, c'est masquer le fait que les hommes ont le droit de les acheter», a-t-elle asséné, soulignant que «l'argent des clients alimente les proxénètes».

Selon un sondage CSA pour BFMTV, 68% des Français sont opposés à la répression judiciaire des clients.

La proposition de loi s'inspire de l'exemple de la Suède où les clients sont pénalisés depuis 1999, ce qui a réduit de moitié de la prostitution de rue en dix ans.

Globalement en Europe, deux politiques sont appliquées avec plus ou moins de succès: la sanction des clients ou des prostituées, notamment dans les pays nordiques, ou l'organisation de la prostitution, en particulier dans les maisons closes, comme en Allemagne et en Grèce.

«Violence contre choix»

Le texte a suscité des interrogations parmi les parlementaires.

Au sein du PS (au pouvoir), plusieurs députés ont refusé que le client récidiviste risque une peine de prison, mesure initialement proposée par Maud Olivier.

Quelques députés socialistes se sont faits l'écho des inquiétudes de certaines prostituées et associations leur venant en aide, comme Médecins du Monde, soulignant que la surveillance des clients allait pousser les travailleuses du sexe à la clandestinité avec un risque accru d'être exposées à des violences.

Dans l'opposition de droite, une majorité de députés s'est abstenue, se disant réservée sur «la pénalisation du client et la possibilité de régularisation des personnes qui sortent de la prostitution», selon leur chef de file, Christian Jacob.

Seuls les écologistes sont montés au créneau pour défendre la suppression de la disposition la plus controversée, celle qui punit l'achat d'actes sexuels.

Les divisions étaient plus visibles aux abords de l'Assemblée où se tenaient deux rassemblements, l'un contre la pénalisation du client à l'appel du Syndicat du travail sexuel (Strass), l'autre à l'appel d'associations féministes.

«Vous couchez avec nous, vous votez contre nous. Non, non non à la pénalisation», pouvait-on entendre d'un côté tandis que de l'autre le mot d'ordre était le vote de «la loi d'abolition».