«Aux grands hommes, la patrie reconnaissante» clame l'inscription gravée sur le fronton du Panthéon. Et en effet: sur les 71 personnalités inhumées dans la crypte de cet imposant monument parisien, à peine deux sont des femmes.

Et encore, l'une d'elles, Sophie Berthelot, y a été admise en «hommage à sa vertu conjugale» pour accompagner les restes de son mari, Marcellin Berthelot, scientifique qui a posé les bases de la chimie organique.

La seconde femme du Panthéon, la physicienne et chimiste Marie Curie, y est entrée pour ses propres mérites, mais repose elle aussi aux côtés de son époux, Pierre Curie, dans la crypte no 8.

Dans un rapport publié il y a huit jours, le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval, affirme qu'il est temps de commencer à rétablir l'équilibre. Pas seulement par souci d'équité, mais aussi pour dépoussiérer un peu cet auguste mausolée, lui redonner plus de pertinence et y «faire entrer le peuple».

Et pour faire en sorte que ce lieu, qui reçoit à peine 700 000 touristes par an contre 10 millions pour Notre-Dame, devienne «habité, et non plus hanté".

L'écart entre les hommes et les femmes y est actuellement si abyssal que la seule manière d'y parvenir, c'est de n'y accueillir, dans un proche avenir, que des dépouilles de femmes, recommande le rapport, qui a été réalisé à la demande du président François Hollande.

Rééquilibrage

L'historien Marc Fumaroli estime que ce rééquilibrage est éminemment souhaitable. Dans une entrevue au Figaro, il rappelle que le Panthéon est une création de la Révolution française, laquelle était profondément "machiste" et valorisait la virilité.

Rétablir un peu d'équilibre entre les sexes, ce serait la moindre des choses, opine Sabrina Tanquerel, une documentaliste croisée hier dans la crypte du Panthéon. «Il y a tellement de femmes qui mériteraient d'être là, ça me choque de savoir qu'on n'arrive pas à s'entendre sur des noms», s'étonne cette Française qui n'a pas le moindre doute sur la première dépouille féminine à envoyer au Panthéon. Pour elle, ce serait Simone de Beauvoir.

L'auteure du Deuxième sexe figure effectivement parmi les candidates les plus populaires citées par des internautes à qui le Centre des monuments nationaux a demandé des suggestions de femmes "panthéonisables".

Moderniser l'institution

Mais la première de cette liste informelle, c'est plutôt sa lointaine prédécesseure Olympe de Gouges, polémiste et femme de lettres, guillotinée en 1793. Auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle est considérée comme l'une des premières féministes. On lui doit, entre autres, cette déclaration prémonitoire: «La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la Tribune.»

Mais si le président François Hollande suit les recommandations du rapport Bélaval, Olympe de Gouges a peu de chances de voir ses restes déménager au Panthéon. Car pour moderniser l'institution, celui-ci mise plutôt sur des personnalités du XXe siècle, dans lesquelles tous peuvent se reconnaître.

Honorer les résistantes

Sa faveur va aux résistantes qui, «après avoir montré, pendant une voire deux guerres, toute l'étendue de leur courage, ont également su tirer de ces expériences souvent douloureuses - puisqu'elles ont pu être torturées ou déportées - les ressorts d'un nouvel engagement, en faveur de la paix, de la justice sociale ou encore du savoir».

La résistante Lucie Aubrac et l'ethnologue Germaine Tillion correspondent toutes deux au signalement.

Le président Hollande, qui a la responsabilité de choisir les prochaines candidates au Panthéon, a promis d'annoncer sa décision d'ici la fin de l'année.

Les nouvelles venues cohabiteront avec les écrivains Victor Hugo, Alexandre Dumas, Voltaire et Émile Zola, le socialiste assassiné Jean Jaurès, l'inventeur de l'alphabet tactile Louis Braille, le résistant Jean Moulin, et une quarantaine de dignitaires de Napoléon 1er qui distribuait les sépultures au Panthéon comme des médailles de mérite.

Le rééquilibrage des sexes prendra sûrement du temps, mais il n'est pas impossible, car le grand mausolée peut encore accueillir 200 dépouilles.

Le Panthéon

> Le Panthéon a été construit dans ce qui est aujourd'hui le 5e arrondissement de Paris, à la demande de Louis XV qui avait promis de construire une église à sainte Geneviève à la suite d'une guérison.

> Le révolutionnaire et politicien français Mirabeau a été le premier à y être accueilli, deux jours après sa mort, en 1791. Il a été exhumé après sa disgrâce, trois ans plus tard.

> La responsabilité d'accorder les honneurs du Panthéon relève du président de la République française. François Mitterrand a "panthéonisé" sept personnes, Jacques Chirac en a désigné deux autres. Nicolas Sarkozy avait voulu offrir le Panthéon à l'écrivain Albert Camus mais sa famille a refusé.