Aux yeux du magazine Forbes, elle est la femme la plus puissante de la planète. Pour ses détracteurs, elle est le diable en personne. Mais une majorité d'Allemands la surnomment simplement mutti: maman. À la fois énigmatique et familière, la chancelière Angela Merkel vogue vraisemblablement vers un troisième mandat. Portrait d'une politicienne atypique qui pourrait être votre voisine.

La première page d'un récent numéro de l'hebdomadaire Spiegel la montre affublée d'une robe impériale, inspirée du portrait de Catherine la Grande qu'Angela Merkel a reçu en cadeau en arrivant à la tête de l'Union chrétienne-démocrate allemande (CDU), il y a 13 ans.

Mais la femme qui monte sur le podium lors d'une assemblée électorale à Potsdam, ville du Brandebourg, n'a rien d'une impératrice. Elle ressemble plutôt à la voisine que l'on croise au supermarché du coin.

Teint blême, traits tirés, vêtue d'un de ses incontournables vestons, la chancelière avance d'un pas lourd vers les responsables locaux de la CDU qui l'attendent sur la scène.

Pendant leurs discours, elle écrit, replace ses cheveux derrière ses oreilles, sourit brièvement à l'assistance, avant de replonger dans ses notes. Quand elle s'adresse à son tour à ses partisans, elle aborde la question du salaire minimum, qui doit continuer à être négocié secteur par secteur, selon elle. Elle parle de l'Union européenne, qui lui impose des «batailles difficiles» mais nécessaires.

«Ensemble, nous sommes plus forts», répète Angela Merkel. Son discours soulève des applaudissements, mais on est loin du délire. «C'est une femme impressionnante, mais elle semble fatiguée», lance Roxi, étudiante en médecine.

Ce n'est peut-être pas un hasard si Angela Merkel évite les grandes envolées oratoires. Selon le journaliste René Pfister, auteur de l'article du Spiegel, la chancelière mène délibérément une campagne ennuyeuse et évite les émotions susceptibles de mobiliser les électeurs sociaux-démocrates.

Selon lui, les arguments d'Angela Merkel se résument en une phrase: Vous avez eu quatre bonnes années, si vous voulez que ça continue, votez pour moi.»

La petite fille de Templin

Une immense affiche accrochée sur un immeuble voisin de la gare Hauptbahnhof, à Berlin, montre des mains placées en triangle, les index pointant vers le sol, en un geste typique de la chancelière.

Cette image de pouvoir assumé tranche avec la photo en noir et blanc où la jeune Angela Merkel se cache au dernier rang d'un groupe d'anciens élèves du lycée Goethe, à Templin, bourgade est-allemande où ses parents se sont établis avant la construction du mur de Berlin.

La photo date de 1986 et la physicienne de 32 ans a l'air d'une petite fille. «Elle avait déjà un doctorat», s'étonne Erika Benn, qui préparait les élèves du lycée à des «Olympiades» de russe.

Angela, qui s'appelait alors Kasner, a remporté deux de ces compétitions interscolaires. Erika Benn se souvient d'une élève appliquée, ambitieuse, mais peu expressive lorsqu'elle devait réciter des poèmes dans la langue de Pouchkine. «J'ai dû lui apprendre à montrer plus d'émotions.»

Née à Hambourg, en 1954, Angela Kasner n'a que 3 ans quand son père, pasteur, obtient un poste à Templin, bourgade médiévale avec des arches et des clochers d'église surplombant les toits d'ardoise.

L'église et le gouvernement communiste ne font pas bon ménage. Rapidement, la jeune Angela apprend que pour réussir, elle doit être la meilleure, dit son ancien prof de physique, Hans-Ulrich Beeskow.

Mission réussie: «De toutes mes élèves, elle a été la plus brillante.»

Une bûcheuse, qui n'abandonnait jamais un problème sans l'avoir résolu.

L'élève Angela essaie de négocier sa place dans la société est-allemande. Ainsi, elle s'inscrit dans l'organisation des pionniers communistes. Mais à la fin du secondaire, sa classe passe à un cheveu d'être virée de l'école, lors d'une prestation perçue comme subversive: les élèves récitent un poème où il est question d'un mur, et chantent L'internationale en anglais. Il faudra que le pasteur Horst Kasner fasse jouer tous ses contacts pour que ce geste «contre-révolutionnaire» soit oublié.

Le sphinx

Plusieurs observateurs allemands estiment qu'Angela Merkel a conservé, de ses années de l'autre côté du mur, sa capacité à dissimuler ses émotions. Et que c'est ce qui fait sa grande force.

«Quand elle reçoit un coup, elle ne répond pas immédiatement. Elle réfléchit, et elle frappe plus tard», dit René Pfister. Lors de son rassemblement de Potsdam, elle n'a pas bronché sous les cris des protestataires anti-Merkel. Elle a fait comme s'ils n'étaient pas là. Puis elle leur a lancé une petite pointe, en vantant la liberté d'expression dont ils sont la preuve...

Physicienne, Angela Merkel se dirige vers une carrière académique quand le mur tombe, en 1989, la plongeant dans le tourbillon de l'histoire. Deux ans plus tard, elle se retrouve ministre de la Condition féminine, dans un gouvernement national réunifié.

Fidèle à son habitude, Angela Merkel attend son heure avant d'asséner son coup fatal à son mentor, le chancelier Helmut Kohl, alors englué dans une affaire de financement illégal, en publiant une lettre dévastatrice dans un quotidien. Ce «putsch» finira par la propulser au sommet de la CDU. Et contribuera à lui donner une image de politicienne en «tablier de bouchère».

La maman

Angela Merkel n'est pas perçue comme une grande visionnaire, mais comme une personne qui réagit intelligemment en situation d'urgence. «Elle a été un bon capitaine pendant la crise européenne», dit René Pfister.

Ses mesures d'austérité lui ont valu d'être caricaturée en Hitler dans les pays du sud de l'Europe. Mais sur la scène intérieure, elle a une tout autre image.

«Angela Merkel sait changer d'idée, elle n'est ni dogmatique ni arrogante», dit l'économiste Gustav Horn.

«On l'appelle mutti [maman|, même si elle n'a rien d'une mère chaleureuse et protectrice. Mais elle est à l'écoute, c'est une médiatrice qui mène une vie modeste», souligne l'historienne Ute Fervert.

Après deux mandats à la tête du pays, cette maman un peu austère garde un taux de popularité de 70 %. Et plus de 60 % des Allemands souhaitent qu'elle reste à son poste.

Peu de ses voisins peuvent en dire autant.

Le doigt d'honneur de Peer Steinbrück

Le journal allemand Süddeutsche Zeitung a l'habitude de publier des entrevues hebdomadaires où il demande à des personnalités connues de répondre à ses questions par des gestes.

Le chef du Parti social-démocrate (SPD), Peer Steinbrück, s'est soumis à l'exercice en pleine campagne pour les législatives de dimanche. Quand le journaliste lui a demandé ce qu'il pensait de ceux qui se moquent de lui en l'affublant de toutes sortes de surnoms, il a répondu par un geste bien senti: un doigt d'honneur.

La photo lui a valu un torrent de critiques. «Ce geste n'est pas digne d'un homme d'État», s'indigne l'analyste Michael Eilfort. «Cette image lui collera à la peau pour toujours, elle fera partie de sa biographie», renchérit René Pfister, journaliste pour Der Spiegel.

Si l'on prend un compas et que l'on trace un point situé à 180 degrés d'Angela Merkel, on a une bonne chance de tomber sur son principal rival, Peer Steinbrück. René Pfister le décrit comme «l'opposé parfait» de la chancelière. Autant celle-ci est contenue, maître de la situation, autant Steinbrück est spontané, sanguin et explosif. Ça le rend plus flamboyant. Mais son côté imprévisible fait peur.

Né à Hambourg en 1947, Peer Steinbrück est un vieux routier de la politique, où il est entré par la porte de l'administration publique. Il n'a que 27 ans quand, après des études en sciences sociales, il est recruté au sein de l'appareil fédéral, au ministère de l'Aménagement du territoire. Il retourne à la politique régionale dans les années 80.

La première victoire d'Angela Merkel, en 2005, ne permet pas la formation d'une coalition de droite. Et c'est donc grâce au mariage entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates qu'il obtiendra le prestigieux ministère des Finances.

Une vaste majorité d'Allemands souhaitent un retour à une coalition entre ces deux grands partis. Et l'occasion pourrait se présenter, à l'issue du vote de dimanche. Mais Peer Steinbrück a déjà averti: pas question pour lui d'être ministre sous Angela Merkel.

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE PRESSE

Cette photo en une du Süddeutsche Zeitung a valu au chef du Parti social-démocrate allemand un torrent de critiques.

Le vote allemand

Les élections fédérales allemandes ont lieu dimanche. Les électeurs doivent renouveler le mandat des membres du Bundestag, le Parlement allemand. En théorie, celui-ci compte 598 députés. Mais les aléas du système semi-proportionnel peuvent entraîner une augmentation du nombre des représentants.

Actuellement, 620 députés siègent au Bundestag. L'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel y compte 237 représentants, le Parti social-démocrate (SPD) 146, et les libéraux (FDP), l'extrême gauche (Die Linke) et les verts se partagent les sièges restants.

Chaque électeur vote deux fois. Une fois pour un député représentant directement sa circonscription (vote uninominal à un tour), et une autre fois, pour une liste de partis où les sièges seront attribués au prorata du vote. Le chancelier est élu par le Bundestag. Il doit obtenir la majorité des votes.

Les derniers sondages confirment la forte avance de la CDU d'Angela Merkel (40 % des intentions de vote), tandis que le SPD a la faveur de 26 % des électeurs. Aucun des deux blocs, à droite comme à gauche, n'est assuré de la majorité des voix. La coalition qui émergera de ce vote reste donc incertaine. C'est le grand enjeu du vote de dimanche.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE PRESSE

Le Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand.