«Hitler n'en a peut-être pas tué assez», a déclaré cet été le député français Gilles Bourdeleix. Leur présence est «odorante et urticante», a dénoncé Jean-Marie Le Pen. L'hebdomadaire Valeurs actuelles parle d'«invasion» et d'«overdose». Jusqu'au ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui leur reproche de ne pas vouloir s'intégrer. De qui s'agit-il? De quelque 20 000 Roms qui squattent dans des bidonvilles d'un bout à l'autre de la France. Et qui se heurtent au mur du racisme et du rejet.

Quand elle n'a plus rien à manger, Daniela Stana mendie devant le supermarché Casino, à Grigny, en banlieue de Paris.

L'autre jour, elle en a rapporté un sac de provisions: des oeufs, du lait, des pâtes. De quoi nourrir son fils Jérusalem, et Samaritaine, son bébé de 5 mois.

«J'ai honte de faire la manche, il y a des gens qui me disent de retourner faire ça dans mon pays. Mais d'autres viennent voir comment je vis, et après, ils me donnent de la nourriture.»

Née en Roumanie, arrivée en France en 2004, Daniela, 21 ans, vit dans des conditions exécrables. Une baraque bricolée avec du bois récupéré, un baril de métal raccordé à un tuyau en guise de poêle, pour se chauffer en hiver.

La cabane compte deux pièces: la chambre et la cuisine. En été, on y étouffe. En hiver, «je dois nourrir le poêle toute la nuit», dit Calin, le mari de Daniela. Il y a aussi les rats, envahissants, qui n'hésitent pas à s'aventurer à l'intérieur.

Daniela n'ose plus utiliser sa cuisinière, parce qu'elle crache des flammes noires à faire peur. Au printemps, son gamin s'est brûlé en tombant sur le poêle. «C'est trop dur de vivre comme ça, je n'arrive pas à donner tout ce qu'il faut à mes enfants.»

Bidonville

Daniela et Calin habitent un bidonville d'une trentaine de cabanes semblables à la leur. La majorité de leurs voisins sont des Roms de la région de Bihor, en Roumanie. Ils ont quitté leur pays pendant la crise économique du début des années 2000.

La communauté compte 168 personnes. La plupart ont emménagé sur ce terrain vague municipal au printemps, après que les bulldozers eurent détruit leur ancien campement, à Ris-Orangis, tout juste un kilomètre plus loin.

«C'est inadmissible que des campements de cette nature s'installent dans une ville comme la nôtre. Il y a un risque de maladie et d'incendie, des détritus, des rats», proteste le maire de Ris-Orangis, Stéphane Rafalli, qui a décrété l'expulsion du bidonville, en avril.

Mais Daniela et ses voisins ne sont pas non plus bienvenus à Grigny, qui compte déjà sa part de problèmes: 50 % de ses habitants vivent sous le seuil de la pauvreté, 40 % des jeunes sont au chômage. «Je refuse d'entasser de la misère sur de la misère», s'exclame le maire Philippe Rio.

Ce dernier a reçu des courriels déchaînés, l'accusant d'avoir fait venir les Roms à Grigny. Politicien de gauche, il tient à souligner que les habitants du bidonville ne causent pas de problèmes réels à leurs voisins. La police, par exemple, n'a constaté aucune hausse de criminalité depuis leur arrivée. Mais faute de moyens, il se dit incapable d'absorber ces nouveaux habitants. Et il a déclenché des procédures d'expulsion.

Ce jeu de chat et de souris se perpétue partout en France. À Lyon, Marseille ou Roubaix, ces favelas occupées surtout - mais pas uniquement - par des Roms sont démantelées, pour repousser quelques kilomètres plus loin.

Un phénomène absurde, selon Julie Bonnier, l'avocate qui défend les Roms de Grigny: «L'expulsion n'est pas une solution, on ne fait que déplacer le problème.»

Des parias

Il y a un an, le gouvernement français a publié une circulaire demandant aux villes de ne pas évacuer les campements avant d'avoir relogé leurs habitants. Mais relogé comment?

Pour replacer les évacués de Ris-Orangis, on a séparé les familles, éloigné les enfants de leurs écoles. Pour plusieurs, l'année scolaire s'est arrêtée en avril. Les familles se sont reconstituées... dans le bidonville de Grigny.

Pendant que les villes se passent la balle, l'hostilité à l'égard des Roms s'accentue. «Ils sont perçus comme des parias», déplore Sophie Latraverse, juriste au bureau du Défenseur des droits, à Paris.

Malgré leur nombre relativement faible, le rejet des Roms prend, en France, «un tour hystérique que l'on ne retrouve pas ailleurs», dénonce Manuel Demougeot, porte-parole de Dihal, organisme public qui s'occupe des sans-abri.

«Le regard que l'on porte sur eux paralyse toute réflexion, on tient les ficelles dans une tension sociale terrible», déplore Ramona Strachinaru, médiatrice socioculturelle, elle-même roumaine, qui intervient auprès des Roms.

Des politiciens en profitent pour souffler sur les braises. «Il y a une fixation politique sur cette question», constate Sébastien Thiéry, du projet PEROU, voué à l'insertion sociale des Roms de Grigny.

À moins d'un an des prochaines élections municipales, le sujet est porteur, et l'humeur n'est pas à l'apaisement.

PHOTO AUDE TINCELIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Daniela, 21 ans, et la cadette de la famille, Samaritaine. 5 mois. À l'arrière, Calin, le père.

Les Roms en France

La France compte environ 20 000 Roms venus de Roumanie et de Bulgarie et vivant dans des conditions d'extrême précarité. Plusieurs sont là depuis plus d'une décennie. D'autres sont arrivés après l'adhésion de ces deux pays à l'Union européenne, en 2007.

> Les Roms ne sont pas des nomades, comme ceux que l'on appelle les «gens du voyage». Ce sont des migrants économiques venus améliorer leur sort.

Leur intégration est compliquée par les mesures transitoires qui limitent leur liberté d'établissement à l'intérieur de l'Union européenne. Ils peuvent séjourner en France pendant trois mois. Après quoi ils doivent démontrer qu'ils ont les moyens de subvenir à leurs besoins. Ces restrictions seront levées en 2014.

> Ces mesures freinent l'intégration. «Ce que nous voulons, c'est travailler, mais pour ça, il faut les papiers», résume Dragomir Covaci, un ex-habitant du bidonville de Ris-Orangis en stage d'insertion sur un chantier de construction. La majorité des Roms ont un faible niveau d'instruction. En Roumanie, ils vivaient de petits boulots. En France, ils travaillent souvent au noir. Le recours à la mendicité est largement répandu.

> La mauvaise image des Roms déteint sur tous les Roumains. «Quand je dis que je suis roumain, les gens surveillent leurs poches», dit Adryan Popa, un habitant - non rom - du bidonville de Grigny. Il est découragé: «J'essaie de m'intégrer, j'ai appris à manger du roquefort et du gratin dauphinois, mais la société ne répond pas...»

> Selon Ramona Strachinaru, médiatrice culturelle, l'attitude face aux Roms varie entre le rejet virulent et le «poupounnage extrême» de certaines ONG surprotectrices. La solution? Accompagner les Roms en tenant compte de leur parcours et de leurs idées. Tout en les responsabilisant.