L'un des conducteurs du train qui a déraillé mercredi soir à Saint-Jacques de Compostelle dans le nord-est de l'Espagne, accident provoqué par une vitesse excessive qui a fait 80 morts, a été placé sous surveillance policière à l'hôpital où il devait être entendu par la police vendredi.

Le conducteur, blessé, «doit être entendu par la police à l'hôpital où il a été placé sous surveillance», a indiqué un communiqué du Tribunal supérieur de justice de Galice, le juge chargé de l'enquête n'ayant à ce stade ordonné «aucune interpellation».

Sur le site de la catastrophe, dans cette ville de pèlerinage mondialement célèbre, une grue blanche géante dégageait les wagons pulvérisés.

Devant la morgue, allaient et venaient les corbillards, pendant que des familles en pleurs cherchaient un peu de réconfort auprès des psychologues dans le centre d'assistance mis à leur disposition.

D'autres attendaient encore, rongés par l'angoisse: 67 corps avaient été identifiés jeudi soir, a annoncé le tribunal régional de Galice.

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, qui a rendu visite aux blessés, a annoncé trois jours de deuil national. La Galice a décidé sept jours de deuil et reçu dans la soirée la visite du roi Juan Carlos et de la reine Sofia.

«Toute l'Espagne est émue par cet événement, tous les Espagnols s'unissent à la douleur des familles des personnes décédées. Nous espérons que les blessés récupéreront petit à petit», a déclaré le roi, qui s'est rendu au chevet des blessés à l'hôpital Clinico de Saint-Jacques.

Dès mercredi soir, peu après le déraillement du train à son arrivée à Saint-Jacques, l'hypothèse d'une vitesse excessive, sur un tronçon de voie limité à 80 kilomètres/heure, a pris corps.

Deux enquêtes, judiciaire et administrative, ont été ouvertes.

«J'espère qu'il n'y aura pas de morts parce que je les aurai sur la conscience», avait lancé le chauffeur du train qui doit être entendu par la police, selon le quotidien El Pais, mercredi dans une communication radio avec la gare, juste après le déraillement.

Un peu plus tôt, il aurait reconnu avoir abordé le dangereux virage où s'est produit l'accident à 190 km/h.

Le secrétaire d'État aux Transports, Rafael Catala, a presque confirmé cette hypothèse. La tragédie «paraît liée à un excès de vitesse», a-t-il affirmé sur la radio Cadena Ser.

Plusieurs témoins ont raconté avoir entendu le bruit sourd d'une violente explosion.

«J'étais chez moi et j'ai entendu comme un coup de tonnerre, très fort, j'ai vu beaucoup de fumée», témoignait, jeudi à l'aube, Maria Teresa Ramos, une femme âgée de 62 ans qui vit à quelques mètres du lieu de l'accident, assise dans son jardin d'où elle regardait l'énorme grue se préparant à soulever les wagons désarticulés.

«C'était un désastre. Les gens criaient. Tout le monde est parti chercher des couvertures et des serviettes pour aider les blessés. Personne n'avait jamais vu cela ici».

L'accident s'est produit à 20h42 (14h42, heure de Montréal) sur un tronçon de voie à grande vitesse, dans un virage très prononcé à environ quatre kilomètres de la gare de Saint-Jacques de Compostelle.

Plusieurs wagons sont sortis de la voie, s'empilant les uns sur les autres. L'un d'eux a été projeté en l'air jusque sur un terre-plein au-dessus de la voie. Dans les heures qui ont suivi l'accident, plusieurs cadavres gisaient sur les voies, recouverts de couvertures.

80 personnes ont été tuées, selon la préfecture de Galice, le bilan le plus lourd dans un accident de train en Espagne depuis 1944. Le gouvernement régional a fait état de 178 blessés, dont 94 étaient toujours hospitalisés jeudi soir, 35 dans un état critique. Il y aurait des étrangers parmi eux.

Le train venant de Madrid se dirigeait vers El Ferrol, sur la côte atlantique, et circulait sur un tronçon de la voie à grande vitesse galicienne, mise en service en décembre 2011, reliant la ville d'Ourense à Saint-Jacques, puis à La Corogne.

L'accident s'est produit à la veille de la Saint-Jacques, le saint patron des Galiciens, une fête traditionnelle dans cette région. Toutes les cérémonies prévues à Saint-Jacques ont été annulées.

Très vite, de longs convois d'ambulances, gyrophares allumés, se sont formés, évacuant les blessés, pendant que les secouristes casqués, en gilets jaunes, armés de pics, se frayaient un chemin dans les tôles froissées.

Un bâtiment municipal a été mis à la disposition des familles, qui pouvaient y recevoir les conseils de psychologues et des informations. Les autorités locales ont lancé un appel aux dons du sang.

Jesus Lopez, 69 ans, attendait seul, jeudi devant le bâtiment, un parapluie accroché au bras. Il est venu de La Corogne, à cent kilomètres de là, dès qu'il a su que sa nièce, âgée de 40 ans, était dans le train.

Architecte vivant à Madrid, elle se rendait en Galice pour aller chercher ses deux enfants de cinq et deux ans qui passent leurs vacances avec leurs grands-parents. Soudain, le téléphone de l'homme sonne: une amie, qui connaît une infirmière à l'hôpital Clinico de Compostelle, l'appelle pour lui dire que l'infirmière a reconnu sa nièce grâce à l'alliance sur laquelle figure le nom de son mari.

Il se met à pleurer pendant l'appel: «Elle l'a vue à l'hôpital. Elle est dans un état grave, mais elle est vivante».

Cette catastrophe ferroviaire est l'une des plus graves jamais survenues en Espagne. En 1944, une collision entre un train qui effectuait lui aussi la liaison entre Madrid et la Galice et une locomotive avait fait des centaines de morts. En 1972, 77 personnes avaient été tuées dans le déraillement d'un train qui reliait Cadix à Séville, en Andalousie.