Les députés irlandais ont adopté une loi autorisant l'avortement quand la vie de la femme est menacée, une avancée limitée et controversée dans un pays à forte tradition catholique où des milliers de femmes vont chaque année interrompre leur grossesse à l'étranger.

C'est peu avant minuit jeudi soir que la chambre basse du Parlement a adopté cette loi par 127 voix contre 31 après deux jours et une nuit de discussions marathon sur 165 amendements.

L'Irlande quitte ainsi le cercle très restreint des pays européens où l'avortement est illégal, laissant l'île de Malte comme seul pays à le proscrire complètement.

À Chypre, en Pologne et en Allemagne, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) n'est tolérée que sous des conditions très précises de danger pour la femme ou l'enfant à naître, ainsi qu'en cas de viol ou d'inceste.

Ce texte, qui était une promesse du gouvernement d'Enda Kenny, a été voté après la mort très médiatisée, en octobre 2012, de Savita Halappanavar, une femme de 31 ans originaire d'Inde, décédée d'une septicémie à l'hôpital de Galway (ouest de l'Irlande). Elle s'était vu refuser un avortement alors qu'elle était en train de faire une fausse couche, à 17 semaines de grossesse.

Le texte doit maintenant être avalisé par la chambre haute du Parlement où le gouvernement détient la majorité.

Mais, signe des résistances, le premier ministre Enda Kenny (Fine Gael, centre) avait imposé un vote favorable à ses troupes sous peine d'exclusion du groupe parlementaire.

Cette condition a donné lieu à l'expulsion de cinq députés, parmi lesquels la secrétaire d'État aux Affaires européennes Lucinda Creighton.

Celle-ci s'est dite «profondément et fermement» convaincue que certains aspects de la loi étaient fondés sur «une logique erronée», rapporte la BBC.

La nouvelle loi autorise l'avortement si la poursuite de la grossesse fait courir à la vie de la femme un «risque réel et substantiel» qui doit être certifié par les médecins. Elle prévoit qu'en cas de risque de suicide, l'avis unanime d'un obstétricien et de deux psychiatres soit requis.

Cette clause en particulier a suscité des résistances de la part de certains parlementaires et des anti-IVG qui redoutent qu'elle n'ouvre la voie à la multiplication des avortements. Dans cette société où l'Église catholique conserve une influence considérable, ces inquiétudes se sont traduites samedi dernier par une manifestation qui a réuni 35 000 personnes à Dublin.

Le texte a également frustré des députés de gauche et des associations pro-avortement qui ont jugé qu'il était bien trop restrictif en ne prévoyant pas d'autoriser l'avortement dans les cas de viol et d'inceste, ou d'anomalie foetale.

«Évidemment, l'adoption de cette législation est un moment historique pour l'Irlande», a déclaré vendredi à l'AFP Sarah McCarthy de l'association Galway Pro-Choice, ajoutant l'avoir «attendue pendant 21 ans».

«Mais nous pensons que la loi est très imparfaite en particulier concernant la criminalisation des femmes. Celles qui prendront une pilule abortive risquent jusqu'à 14 ans de prison. Globalement, cette loi ne va pas protéger la vie des femmes et leurs droits», a-t-elle ajouté.

La loi transpose juridiquement une décision de la Cour suprême irlandaise prise en 1992 dans laquelle elle avait jugé qu'une femme avait le droit d'avorter si sa vie était en danger.

En décembre 2010, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait en outre condamné l'Irlande pour avoir interdit l'avortement à une femme en phase de rémission d'un cancer, qui craignait que sa grossesse n'entraîne une récidive de sa maladie.

Selon des statistiques du ministère britannique de la Santé, 3982 femmes - soit 11 chaque jour -, dont 124 de moins de 18 ans, ont quitté l'Irlande pour l'Angleterre ou le Pays de Galles afin d'y subir un avortement en 2012.

Entre 1980 et 2012, plus de 150 000 femmes venues d'Irlande ont fait le même voyage, selon ces statistiques.