Après huit ans d'instruction et un mois de procès, le tribunal correctionnel de Paris a rendu lundi un jugement spectaculaire dans l'affaire des détournements du programme de l'ONU en Irak «pétrole contre nourriture», en relaxant tous les prévenus, que ce soit le groupe Total ou l'ancien ministre Charles Pasqua.

Dans sa décision, le tribunal a estimé qu'aucune des infractions de «corruption d'agents publics étrangers», «trafic d'influence» ou «abus de biens sociaux» retenues contre les vingt prévenus n'était constituée.

«C'est une claque magistrale pour l'instruction», a commenté Me Jacqueline Laffont, avocate de l'ancien ministre de l'Intérieur, qui était absente à la lecture du délibéré.

Le tribunal «a reconnu mon innocence», s'est félicité ce dernier dans un communiqué, soulignant combien «les débats (avaient) démontré l'inanité (d')accusations infamantes» et regrettant que «huit ans aient été nécessaires pour établir ce qui était une évidence...».

Le parquet a maintenant dix jours pour faire appel, en partie au moins, de ce jugement.

Relaxé lundi, Charles Pasqua, 86 ans, a été condamné à plusieurs reprises ces dernières années, notamment pour financement illégal de sa campagne pour les élections européennes de 1999 et pour complicité d'abus de biens sociaux et de recel dans une affaire de détournements de fonds.

Au procès, qui s'était tenu en janvier et février, le parquet avait requis la relaxe de Charles Pasqua, mais demandé une amende de 750 000 euros (plus d'un million de dollars) contre le groupe pétrolier français Total, lui reprochant d'avoir versé des pots-de-vin aux dirigeants irakiens et acheté du pétrole dans des conditions non conformes au programme «pétrole contre nourriture».

En vigueur de 1996 à 2003, ce programme visait à atténuer les effets sur la population irakienne d'un embargo de l'ONU décrété après l'invasion du Koweït par Bagdad en 1990.

Il permettait au régime de Saddam Hussein de vendre du pétrole, en quantités limitées et sous contrôle de l'ONU, en échange de biens de consommation. Mais Bagdad avait contourné ce programme par le biais de ventes parallèles et de surfacturations, en distribuant des millions de barils à des personnalités «amies» ou en encaissant des ristournes sur les ventes de pétrole.

Paiements à l'État irakien

Des amendes avaient été réclamées contre la plupart des autres prévenus par le parquet, qui avait également requis deux autres relaxes et une peine de prison.

«La société pétrolière que je représente est heureuse que la relaxe soit effectivement "totale"», s'est réjoui dans un trait d'esprit l'avocat de Total, Jean Veil, rappelant que depuis le début, la défense n'avait «cessé de dire qu'aucune infraction n'avait été commise».

Dans sa lecture du jugement, devant une salle comble, la présidente de la 11e chambre correctionnelle a d'abord démonté le chef de «trafic d'influence». Elle a notamment relevé que même pour les personnes ayant reconnu avoir reçu des barils de pétrole, il n'était «pas établi» que ce soit «parce qu'elles avaient une quelconque influence auprès des autorités françaises».

Quant à la corruption, le tribunal rappelle notamment dans ses motivations qu'elle «suppose l'enrichissement personnel du corrompu». «Or, en l'espèce, il n'a pas été démontré qu'un agent public étranger, personne physique, se soit personnellement enrichi», constate-t-il, en se rangeant à l'avis de la défense pour laquelle les «surcharges» payées sur les livraisons de pétrole n'avaient pas été versées à des particuliers, mais à l'État irakien, fût-il du temps de Saddam Hussein.

Selon un rapport établi en 2005, quelque 2200 sociétés d'une soixantaine de pays auraient participé au contournement du programme «pétrole contre nourriture» en versant des pots-de-vin au régime irakien.

Des poursuites ont été engagées dans plusieurs pays, aux États-Unis notamment, et un deuxième procès doit avoir lieu prochainement en France, impliquant 14 sociétés.