Jérôme Cahuzac, au coeur du plus gros scandale de l'ère Hollande, s'est appliqué mercredi à dédouaner le gouvernement et le président de la République, en répondant -ou en refusant de répondre-, le ton traînant, manifestement accablé, à la commission d'enquête parlementaire.

Mis en examen pour avoir détenu un compte bancaire caché à l'étranger, M. Cahuzac, arrivé en scooter au Palais Bourbon, s'est exprimé pendant deux heures dans la salle d'audition, vêtu d'un costume gris, cravate noire, mine sombre.

L'ancien ministre délégué au Budget a prêté serment, à la demande du président de la Commission parlementaire, Charles de Courson. «Je le jure», a-t-il lâché entre ses dents avant de refuser de faire une «déclaration liminaire».

Tour à tour mettant et retirant ses lunettes, prenant des notes, demandant à plusieurs reprises aux députés de ne pas lui demander d'«étaler ses sentiments personnels», l'homme est apparu fatigué, la voix régulièrement bloquée par l'émotion, n'hésitant pas à évoquer sa «douleur».

Mais l'ancien orateur brillant du gouvernement s'est en même temps attaché à parler lentement, en termes choisis, précis, pour accepter ou refuser de donner les détails réclamés par les députés.

Il a notamment décliné les questions directes sur les banques dans lesquelles il avait placé de l'argent à l'étranger, le mécanisme juridique utilisé pour cela, sur les dates de transferts ou encore sur ses voyages en Suisse. À ses yeux, ces questions empiètent «pleinement sur l'information judiciaire en cours» sur son affaire, marquant la limite du travail de la commission parlementaire.

M. Cahuzac a d'ailleurs précisé sèchement aux députés que ses non-réponses ne valaient «pas approbation au libellé des questions».

Interrogé plusieurs fois sur ce que pouvaient savoir tant son ministre de tutelle, Pierre Moscovici, que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault ou le président François Hollande, M. Cahuzac a assuré qu'il n'était pas en position de le savoir puisqu'une «muraille de Chine» avait été érigée autour de lui l'empêchant d'être informé de tout ce qui concernait son affaire.

«J'ai pu mettre dans mes dénégations une force de conviction qui a dû en convaincre certains, je le crains», a-t-il déclaré, répétant maintes fois leur avoir menti.

M. Cahuzac a insisté sur le fait qu'il n'avait parlé à personne de la demande de renseignements (formulaire 754) que le fisc lui avait envoyé sur d'éventuels comptes à l'étranger.

Par contre il s'est refusé à dire s'il s'agissait bien de sa voix sur l'enregistrement au coeur de l'affaire.

«Ils m'ont tous jugé par avance»

«Il y a deux tabous que je n'ai pas transgressés: je n'ai jamais juré ne pas détenir de compte sur la tête de mes enfants, et deuxième tabou, mentir à l'administration dont j'avais la charge, m'a semblé impossible», a déclaré le ministre pour justifier le fait de n'avoir pas répondu au fisc.

Il a affirmé que M. Moscovici ne l'avait pas prévenu de l'envoi d'une demande d'entraide administrative à la Suisse. «J'ai été informé du sens de la réponse, de mémoire, une dizaine ou quinzaine de jours après», a-t-il dit, certifiant qu'il n'était pas à l'origine des fuites qui avaient suivi dans la presse.

Il a également assuré n'avoir jamais eu de contact sur cette affaire avec le ministre de l'Intérieur Manuel Valls et la Garde des Sceaux Christiane Taubira.

Il a rendu un hommage appuyé à l'administration fiscale et à son travail dans cette affaire, estimant à l'encontre de nombreux commentaires notamment dans l'opposition, que «celle-ci ne pouvait poser de meilleure question que celle qu'elle a posée» à Berne.

À propos de son retentissant démenti devant la représentation nationale le 5 décembre, il a expliqué l'avoir prononcé alors qu'il avait «menti au président de la République et au Premier ministre dans les heures qui précédaient».

Les députés souhaitent savoir si l'ancien ministre a pu bénéficier d'éventuelles protections entre la révélation par Mediapart, le 4 décembre, qu'il possédait un compte à l'étranger et ses aveux le 2 avril.

Quelques heures avant son audition, Jérôme Cahuzac avait estimé sur Europe 1 qu'il était «le bouc émissaire idéal de toutes les turpitudes politiques».

«Ils m'ont tous jugé par avance, même certains qui se disaient mes amis», a-t-il regretté.

M. Cahuzac a démissionné de son poste le 19 mars, au lendemain de l'ouverture d'une information judiciaire le visant et trois semaines avant de reconnaître finalement disposer de plus de 600 000 euros sur un compte non déclaré à l'étranger.

Cette commission d'une trentaine de députés a ciblé ses investigations sur l'action du gouvernement pendant que M. Cahuzac était à Bercy, s'interrogeant notamment sur l'opportunité de mener une enquête administrative en parallèle de l'enquête judiciaire.

Les commissions d'enquête parlementaires françaises peuvent mettre au jour des informations et, dans des cas rares, saisir la justice. Les témoins qu'elles convoquent sont tenus de se présenter sous peine de sanctions pénales et invités à prêter serment.