Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a une nouvelle fois exhorté le dernier carré des manifestants à cesser l'occupation du parc Gezi d'Istanbul, après leur avoir promis de suspendre sa destruction jusqu'au verdict final de la justice.

Pressé de mettre un point final à la fronde qui ébranle depuis deux semaines son autorité, le chef du gouvernement a assuré avoir entendu les revendications des militants écologistes qui s'opposent à la destruction du parc, dont il a reçu pour la première fois dans la nuit deux porte-parole reconnus.

«Jeunes gens, vous êtes restés assez longtemps (dans le parc) et vous avez fait passer votre message. Si votre message concerne le parc Gezi, c'est bon, il a été reçu», a-t-il déclaré dans un discours à Ankara.

Délaissant le ton menaçant de l'ultimatum qu'il leur avait adressé la veille, M. Erdogan a dans la foulée prié les centaines d'irréductibles qui occupent le parc de vider les lieux au plus vite. «J'espère que tout sera fini ce soir», a-t-il souhaité.

À la nuit tombée, les locataires du parc semblaient bien décidés à le contrarier. «Nous ne partirons pas. Pourquoi le ferions-nous au point où nous en sommes ?», demandait Mustafa, 43 ans. «Nous avons beaucoup souffert, il n'y a pas de retour en arrière possible», a-t-il ajouté en évoquant les manifestants blessés par la police.

Comme il l'a assuré jeudi soir à la délégation qu'il a reçue à sa résidence, le Premier ministre a confirmé qu'il ne toucherait pas au parc Gezi avant la fin de la procédure judiciaire initiée par les adversaires du projet d'aménagement de la place Taksim et qu'il consulterait la population d'Istanbul sur son avenir.

«Nous attendrons la décision finale de la justice et quand ce sera fait, nous organiserons un vote public, et nous nous conformerons à ce qui en sortira», a répété M. Erdogan. «Que puis-je dire d'autre ?», a-t-il insisté.

Le 31 mai, un tribunal administratif d'Istanbul saisi par les opposants au projet avait décidé de suspendre les travaux d'aménagement. Le gouvernement avait immédiatement fait appel. La procédure devrait désormais prendre plusieurs mois.

Au sortir de leur première rencontre avec le Premier ministre, les porte-parole du collectif Solidarité Taksim ont exprimé, pour la première fois, un commentaire favorable.

«La note positive de la nuit, ce sont les explications du Premier ministre disant que le projet ne sera pas poursuivi tant que la justice n'aura pas rendu sa décision finale», a relevé l'un d'eux, l'urbaniste Tayfun Kahraman.

Méfiance

Mais les promesses du gouvernement ont été accueillies nettement plus fraîchement par les centaines de militants qui continuent d'occuper le parc.

«Nous ne sommes pas satisfaits car il ne s'agit pas seulement de l'avenir du parc», a souligné Kivanch, un musicien de 39 ans. «Bien sûr, ça a commencé comme un combat écologiste, mais c'est bien plus qu'un parc, il s'agit de l'identité d'une nation».

Parti d'une réaction à la brutalité de l'intervention policière contre les occupants du parc Gezi le 31 mai, le mouvement a vite tourné à la fronde politique. Depuis deux semaines, les manifestants exigent la démission de M. Erdogan, accusé de dérive autoritaire et de vouloir «islamiser» la Turquie, pays musulman à tradition laïque.

Après un bref compte-rendu de la rencontre d'Ankara, les centaines d'occupants du parc ont commencé dans l'après-midi à former des assemblées générales pour débattre de la suite de leur mouvement et accoucher, pas avant samedi, d'une position commune.

Sûr du soutien d'une majorité de Turcs, le Premier ministre a adopté depuis le début de la crise un ton très ferme contre les manifestants, qu'il a décrits à longueur de discours comme des «extrémistes» ou des «pillards».

À la pointe de la contestation, l'Union des médecins de Turquie (TTB) a ainsi accusé vendredi les autorités de chercher à obtenir la liste des nombreux médecins qui ont soigné les manifestants victimes des interventions de la police.

Selon le dernier bilan publié mercredi soir par le syndicat des médecins turcs, les manifestations et leur répression ont fait quatre morts, trois manifestants et un policier, et près de 7500 blessés, dont une cinquantaine grièvement.

Ces brutalités policières et l'intransigeance de M. Erdogan face aux protestataires lui ont valu de nombreuses critiques et terni son image à l'étranger, notamment auprès des États-Unis et des pays de l'Union européenne.

Berlin a toutefois fait savoir vendredi que ces critiques ne remettraient pas en cause les discussions sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Europe des 27.