Des dizaines de milliers de personnes sont à nouveau descendues samedi dans les rues de Turquie malgré les appels répétés du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à l'arrêt immédiat de la contestation qui ébranle depuis neuf jours tout le pays.

Toujours aussi déterminés, des milliers de manifestants ont occupé la place Taksim d'Istanbul et le désormais fameux parc Gezi, dont la destruction annoncée a déclenché la plus grave crise politique depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement islamo-conservateur en Turquie en 2002.

De nombreux partisans des trois grands clubs rivaux de football de la ville, Galatasaray, Besiktas et Fenerbahçe, sont venus grossir les rangs de la foule, sans que la police n'intervienne.

En revanche à Ankara, la police antiémeute, présente en nombre, a violemment dispersé environ 5000 manifestants réunis sur la place de Kizilay, dans le centre-ville, faisant abondamment usage de gaz lacrymogène.

Plusieurs manifestants ont été blessés, selon les chaînes de télévision.

«Le premier ministre essaie tous les jours de diviser la population», a déclaré à l'AFP Eroy Dilek, un étudiant en génie mécanique de 21 ans qui manifeste place Taksim. «Nous reviendrons ici tous les jours jusqu'à ce qu'il démissionne».

À New York, tapant sur des casseroles et brandissant des drapeaux turcs, plusieurs centaines de personnes ont manifesté samedi square Zuccotti en signe de soutien aux protestataires en Turquie.

Les manifestants reprochent au premier ministre, leur principale cible, son exercice autoritaire du pouvoir et l'accusent de vouloir islamiser la société turque.

Critiqué dans son pays comme à l'étranger pour la brutalité avec laquelle la police a réprimé la fronde, le gouvernement turc a joué samedi la carte de l'apaisement.

«Le processus (des manifestations) est sous le contrôle du gouvernement, il se normalise et devient de plus en plus raisonnable», a jugé devant la presse le vice-premier ministre Huseyin Celik. «Nous sommes prêts à répondre à toutes les exigences raisonnables, démocratiques et qui respectent la loi».

La veille, M. Erdogan lui-même avait adouci le ton très ferme adopté depuis le début de la crise contre les contestataires, souvent qualifiés de «vandales» ou d'«extrémistes».

«Nous sommes contre la violence, le vandalisme et les actions qui menacent les autres au nom des libertés», a-t-il déclaré lors d'un forum international à Istanbul, mais «nous accueillons de tout coeur ceux qui viennent avec des exigences démocratiques».

Lors de la même conférence, le commissaire européen à l'Élargissement, Stefan Füle, a une nouvelle fois dénoncé «le recours excessif à la force» qui «n'a pas sa place dans une démocratie» et appelé M. Erdogan au dialogue.

«Deux poids, deux mesures»

Piqué au vif, le premier ministre turc a vivement réagi en dénonçant le «deux poids, deux mesures» des pays occidentaux envers son pays.

«Dans n'importe quel pays d'Europe, lorsqu'il y a une protestation violente contre un projet de démolition de ce genre, croyez-moi, ceux qui sont impliqués subissent une répression plus sévère», a-t-il lancé en citant la Grèce, la France ou l'Allemagne.

Selon le dernier bilan rendu public par le syndicat des médecins turcs, la contestation a causé la mort de deux manifestants et d'un policier et fait 4.785 blessés.

Dans un geste de conciliation envers les manifestants, le maire d'Istanbul, Kadir Topbas, s'est dit prêt samedi à amender le projet urbain à l'origine de la contestation, y excluant «un «centre commercial ou un hôtel».

Mais il a maintenu la reconstruction à la place du parc d'une caserne ottomane, rappelant que c'était une «promesse électorale».

Le premier ministre a lui profité de son samedi pour multiplier les consultations à Istanbul, d'abord avec les instances dirigeantes de son Parti de la justice et du développement (AKP) puis avec le président du Parlement Cemil Ciçek.

Lors de sa réunion, l'AKP a décidé d'organiser dès le week-end prochain deux réunions publiques, le samedi à Ankara et le dimanche à Istanbul, ont rapporté les médias turcs. Il s'agit officiellement de lancer la campagne du parti pour les élections locales de 2014, mais aussi de faire le pendant aux manifestations.

Parfois qualifié de «sultan» par ses détracteurs, M. Erdogan avait profité de son retour du Maghreb, dans la nuit de jeudi à vendredi, pour faire étalage de sa puissance et du soutien que continue à lui apporter une part importante de l'opinion turque.

Devant des milliers de partisans chauffés à blanc venus l'accueillir à l'aéroport d'Istanbul, il avait tenu des propos très fermes contre les manifestants, avant d'appeler ses troupes à rentrer chez elles dans le calme.

Il y a une semaine déjà, le premier ministre avait agité ce scénario de la confrontation populaire. «S'ils veulent organiser des rassemblements, si c'est un mouvement social, et bien quand ils réuniront 20 personnes, j'en réunirai 200 000», avait-il averti. «Et quand ils seront 100 000, je mobiliserai un million de membres de mon parti».