Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fait une démonstration de force vendredi à son retour en Turquie en exigeant, devant des milliers de partisans, la fin «immédiate» des manifestations qui réclament sa démission depuis huit jours.

Accueilli dans la nuit en héros à l'aéroport d'Istanbul au terme d'une tournée de trois jours au Maghreb, le chef du gouvernement a une nouvelle fois dénoncé les «anarchistes» et les «extrémistes» qui défilent dans les rues des principales villes du pays en défiant son autorité et ordonné l'arrêt de leur mouvement.

«J'appelle à une fin immédiate des manifestations, qui ont perdu leur caractère démocratique et ont tourné au vandalisme», a-t-il lancé à la foule, qui agitait des drapeaux turcs en scandant «nous sommes prêts à mourir pour toi, Tayyip» ou encore «allons-y, écrasons-les tous».

Juché sur un bus et flanqué de son épouse et d'une bonne partie de son gouvernement, M. Erdogan a assuré qu'il n'était pas «le maître mais le serviteur» de la Turquie et remercié ses partisans pour leur retenue depuis le début de la crise.

«Vous êtes restés calmes, responsables et vous avez fait preuve de bon sens», a lancé M. Erdogan. «Nous allons tous maintenant rentrer chez nous (...) vous n'êtes pas le genre de gens qui tapez sur des casseroles dans les rues», a-t-il ajouté.

Les défenseurs de M. Erdogan sont jusque-là restés discrets, mais le Premier ministre s'est targué à plusieurs reprises du soutien d'une large partie de la population, rappelant que son Parti de la justice et du développement (AKP) avait obtenu 50% des suffrages aux législatives de 2011.

Avec cette première mobilisation massive en faveur du gouvernement, la crise a tourné au bras de fer entre les partisans et les adversaires de M. Erdogan.

Au moment-même où il était attendu à l'aéroport d'Istanbul, plusieurs dizaines de milliers de manifestants étaient toujours réunis sur l'emblématique place Taksim, à une vingtaine de kilomètres de là, aux cris de «Tayyip, démission!». Des milliers de personnes étaient également rassemblées dans la capitale Ankara.

Quelques heures avant son retour, M. Erdogan a répété à Tunis son refus de céder aux protestataires en excluant de revenir sur le projet d'aménagement de la place Taksim d'Istanbul, à l'origine de la fronde.

«Nous mènerons ce projet à son terme (...) nous ne permettrons pas à une minorité de dicter sa loi à la majorité», a-t-il assuré.

Comme il l'a déjà fait, M. Erdogan a aussi dénoncé la présence d'«extrémistes», certains «impliqués dans le terrorisme» parmi les protestataires. Une allusion au groupe d'extrême gauche turc DHKP-C (Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple) qui a revendiqué un attentat en février contre l'ambassade des États-Unis à Ankara.

Intransigeance

Les États-Unis ont dénoncé cette «rhétorique inutile» qui, a déclaré la porte-parole du département d'État Jennifer Psaki, «ne contribue pas à apaiser la situation».

La Bourse d'Istanbul a chuté de 4,70% à la clôture après les propos de M. Erdogan.

L'intransigeance du chef du gouvernement a alimenté la colère des manifestants, qui dénoncent sa dérive autoritaire et sa volonté d'islamiser la société turque.

«Nous sommes en colère, il ne veut pas écouter», a indiqué à l'AFP Senay Durmus, une biologiste de 25 ans, «je reviendrai à Taksim jusqu'à notre victoire». «Il ne veut rien changer mais on va le contraindre à le faire. Je ne sais pas quand, mais il changera», a assuré un autre manifestant, Mersad Jahed.

Signe de la tension qui monte, des incidents ont été signalés mercredi à Rize, sur les bords de la mer Noire (nord-est), entre des contestataires et des partisans de l'AKP.

Sept étrangers «impliqués dans les troubles» ont été interpellés en Turquie, a par ailleurs indiqué jeudi le chef du gouvernement, sans autre détail.

Son ministre de l'Intérieur, Muammer Güler, a précisé ultérieurement que deux de ces sept personnes - deux Français, deux Iraniens, un Grec, un Allemand et un Américain - avaient été remises en liberté.

À Adana (sud), un policier a succombé à ses blessures après être tombé d'un pont mercredi en poursuivant des manifestants, a annoncé jeudi la chaîne de télévision privée NTV. Il s'agit du premier mort dans les rangs de la police depuis le début, le 31 mai, de la contestation, qui a aussi fait deux morts chez les manifestants.

Outre les trois morts, 4355 personnes ont été blessées en une semaine, dont 47 très grièvement, a déclaré jeudi le syndicat des médecins turcs.

Le dernier bilan officiel faisait état de «plus de 300» blessés seulement.

Paris et Berlin ont une nouvelle dénoncé jeudi la brutalité de la répression policière.

«Aucune démocratie ne peut se construire sur la répression», a estimé le ministre délégué français aux Affaires européennes, Thierry Repentin. «Le grand nombre de personnes arrêtées et blessées est choquant», a déclaré le chargé des droits de l'Homme du gouvernement allemand, Markus Löning.

Photo Yannis Behrakis, Reuters

Des manifestants anti-gouvernements sur la place Taksim, jeudi.