La cour d'appel de Bordeaux examinera jeudi, dans une ambiance houleuse, les nullités de procédure de l'affaire Bettencourt, à moins qu'elle n'attende que la Cour de Cassation se prononce sur un dépaysement du dossier.

La cour s'attardera en particulier aux inexactitudes qui entacheraient une expertise déterminante.

Cette audience est l'ultime occasion pour les mis en examen du volet «abus de faiblesse» - dont Nicolas Sarkozy, l'ex-ministre Éric Woerth, l'ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, et l'artiste François-Marie Banier - de faire valoir des erreurs de procédure. Les trois juges d'instruction - Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël - doivent dire dans quelques semaines qui ils renvoient devant le tribunal correctionnel.

Dans leur viseur, l'expertise réalisée le 7 juin 2011 sur la milliardaire. Une experte a conclu que Mme Bettencourt n'avait plus toutes ses facultés cognitives depuis septembre 2006.

Les dons et avantages reçus de la vieille dame en «état de faiblesse» après cette date sont susceptibles de lui avoir été extorqués, y compris, estiment les juges, ceux qui pourraient concerner la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007.

Si l'expertise était annulée, les mises en examen qui en découlent le seraient comme par magie. L'avocat général Pierre Nalbert semble avoir l'intention de repousser la quasi-totalité des arguments que les avocats avaient avancés en ce sens à la fin avril, date à laquelle l'audience devait se tenir initialement.

Mais depuis, coup de tonnerre. La révélation opportune par le Parisien, le 30 mai, que Mme Gromb était témoin au mariage du juge d'instruction Jean-Michel Gentil, et aurait de surcroît touché sur autorisation de celui-ci, des honoraires supérieurs à ceux de ses co-experts, a créé un véritable tollé.

Depuis cet article, les avocats des sept principaux mis en examen mènent une charge sans répit visant à démontrer le manque d'impartialité du juge Gentil.

«Les conséquences de l'inconséquence»

Ils ont successivement écrit au Procureur de la République de Bordeaux pour se faire parvenir l'extrait intégral de l'acte de mariage des Gentil, à la ministre de la Justice Christiane Taubira pour qu'elle saisisse l'Inspection des Services judiciaires. Ils ont demandé à la Cour de cassation de dépayser l'affaire, déjà déménagée de Nanterre à Bordeaux en novembre 2010.

Le procureur les a invités à formuler leur demande de manière plus précise, tout en reconnaissant n'avoir pas été avisés du dépassement d'honoraires. Ceci est expliqué par un des co-experts par le fait que Mme Gromb a réalisé la synthèse de l'expertise.

La Chancellerie a estimé pour sa part que «rien ne justifie» l'inspection demandée. Quant à la Cour de Cassation, qui examinera l'affaire le 18 juin, elle a refusé en attendant de suspendre l'instruction.

La défense de la plupart des mis en examen demandera un report de l'audience jeudi, en attendant l'arrêt de la Cour de Cassation. Un juriste proche de l'affaire juge cependant «difficile que le report soit accordé», puisque l'avocat général de la Cour de Cassation est favorable à la poursuite des actes liés à l'instruction.

«Un report serait la meilleure façon d'amener de la sérénité et de la transparence», estime au contraire Me Christophe Cariou-Martin, un des avocats de Patrice de Maistre.

S'il lui faut plaider quand même, la défense de l'ancien homme de confiance de Liliane Bettencourt aurait l'intention de dévoiler une anecdote paraissant montrer «que le conflit d'intérêts est une notion à géométrie variable» pour M. Gentil dans cette affaire d'expertise. «Nous espérons que la cour d'appel tirera toutes les conséquences juridiques de l'inconséquence d'un des magistrats instructeurs», a avancé Me Cariou-Martin.

Quant à M. Gentil, il «ne souhaite pas réagir» publiquement, a indiqué mercredi à l'AFP son avocat Rémi Barousse.