L'ancien président du gouvernement des Croates de Bosnie, Jadranko Prlic, 53 ans, a été condamné mercredi à 25 ans de prison pour avoir forcé le transfèrement de populations musulmanes en Bosnie dans le but de créer une «grande Croatie» et d'avoir répandu la terreur dans ces communautés.

«La chambre à l'unanimité vous déclare coupable», a déclaré le juge Jean-Claude Antonetti du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

Les co-accusés de M. Prlic, dont Bruno Stojic, 58 ans, ancien ministre de la Défense d'Herceg-Bosna, Slobodan Praljak, 68 ans, ancien officier supérieur dans l'armée croate, et Milivoj Petkovic, 63 ans, ancien responsable des forces armées d'Herceg-Bosna, notamment, ont été condamnés à des peines allant de 10 à 20 ans de prison.

M. Prlic était poursuivi pour avoir créé et participé, entre 1991 et 1994, à une entreprise criminelle commune «en vue de soumettre politiquement et militairement les musulmans de Bosnie et autres non-Croates» en Herceg-Bosna, entité croate unilatéralement proclamée dans le sud-ouest de la Bosnie-Herzégovine.

«Dès décembre 1991, les dirigeants de la Communauté croate d'Herceg-Bosna et des dirigeants de la Croatie (dont Franjo Tudjman - défunt président de la Croatie) estimaient que pour réaliser l'objectif ultime, à savoir la mise en place d'une entité croate (...), il était nécessaire de modifier la composition ethnique des territoires revendiqués», a ajouté le juge Antonetti.

Pour atteindre l'objectif d'une «grande Croatie», Jadranko Prlic et ses cinq co-accusés, également hauts responsables militaires et politiques croates de Bosnie, ont eu recours à des meurtres, des viols, des transferts forcés et des expulsions, des destructions de biens civils pour effectuer ce «nettoyage ethnique», selon le juge.

Le premier ministre croate, Zoran Milanovic, a émis l'espoir «qu'il sera possible de reconsidérer ce verdict» en deuxième instance.

«La Croatie a fait des erreurs en Bosnie, mais elle a été partenaire, alliée, et elle a beaucoup aidé» le gouvernement bosnien, a-t-il ajouté.

Les nationalistes croates convoitaient la région méridionale de l'Herzégovine et notamment la ville de Mostar, un des symboles du caractère multiethnique de la Bosnie avant la guerre, où les soldats croates ont systématiquement chassé les musulmans de Mostar-Ouest et bloqué le passage de l'aide humanitaire : «la population musulmane devait ainsi vivre dans des conditions extrêmement difficiles, privée de nourriture, d'eau, d'électricité et de soins adéquats», a affirmé le juge.

L'éphémère république autoproclamée d'Herceg-Bosna a été dissoute peu avant les accords de paix de 1995 et son territoire a été intégré à la Fédération croato-musulmane, entité qui forme avec la Republika Srpska (entité serbe) la Bosnie d'après-guerre.

M. Prlic, en tant que président de la Communauté croate de Herceg-Bosna, puis en tant que premier ministre de la République croate de Herceg-Bosna «avait un pouvoir sur les centres de détention», notamment celui de les ouvrir et de les fermer, a souligné le juge, rappelant les conditions de vie «particulièrement difficiles» et les «graves sévices» subis par les détenus.

En plus des tortures physiques comme des électrocutions ou des brûlures de cigarette, les «détenus qui ne mangeaient pas suffisamment rapidement devaient s'allonger sur l'asphalte brûlant et se rouler par terre sans chemise» et l'un des détenus a été contraint de «lécher son propre sang» sur le sol, a également affirmé M. Antonetti lors de la lecture du résumé du jugement.

Senka Nozica, l'une des avocates de Bruno Stojic, a fait part à l'AFP de son intention d'interjeter appel : «mon client est attristé par le jugement, mais nous continuerons de nous battre».

La guerre de Bosnie, qui a coûté la vie à quelque 100 000 personnes, a essentiellement opposé les musulmans aux Serbes, mais Croates et musulmans se sont également combattus.

D'autres Croates ont également été jugés par le TPIY, dont le général Ante Gotovina qui avait été condamné en première instance à 24 ans de prison avant que ce verdict ne soit annulé, un coup de théâtre intervenu pendant le procès en appel en novembre.