Neuf personnes ont été interpellées dimanche en Turquie après le double attentat qui a fait 46 morts à Reyhanli, ville proche de la Syrie, dont Ankara a attribué la responsabilité au régime de Damas qui a démenti toute implication.

Au lendemain de cette attaque qui a ravivé les craintes de débordement du conflit syrien, le vice-premier ministre turc Besir Atalay a annoncé que ces neuf personnes, toutes de nationalité turque, appartenaient à «une organisation terroriste en contact avec les services de renseignement syriens», ajoutant que certaines avaient fait des «aveux».

Quelques heures après la double explosion, le ministre de l'Intérieur Muammer Güler avait déjà affirmé que les responsables de l'explosion de deux véhicules bourrés d'explosifs devant la mairie et la poste centrale de Reyhanli, une ville de 60 000 habitants où vivent de nombreux réfugiés syriens, étaient «liés à des organisations soutenant le régime syrien et ses services de renseignement».

Dimanche, M. Güler s'est refusé à en dire plus sur l'identité des suspects et la nature de leur groupe, mais il a précisé qu'il s'agissait d'activistes «dont on connaît les noms et les activités» et leurs «contacts étroits» avec le régime syrien.

«Nous avons identifié ceux qui étaient les organisateurs, ceux qui ont effectué des reconnaissances, ceux qui ont déposé les véhicules», a-t-il déclaré.

Et le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, a imputé, au cours d'une conférence de presse à Berlin avec son homologue allemand Guido Westerwelle, le double attentat à «une ancienne organisation marxiste directement liée au régime» de Damas.

Plusieurs journaux turcs ont évoqué dimanche la piste d'un groupuscule clandestin turc de gauche, les Acilciler, dont le chef Mihraç Ural aurait trouvé refuge en Syrie à la fin des années 1970.

Le quotidien progouvernemental Sabah a rapporté lundi dernier que Mihraç Ural avait participé récemment à des exactions contre la population dans le nord-ouest de la Syrie.

M. Güler a indiqué que les explosifs avaient été introduits «clandestinement» dans la province de Hatay, dont dépend Reyhanli, puis avaient été chargés dans des véhicules turcs, spécialement aménagés avec des caches pour dissimuler cette cargaison.

Il a souligné qu'un des objectifs de l'attaque était de «provoquer des tensions entre les gens qui vivent ici (à Reyhanli) et ceux (les Syriens) qui y sont hébergés comme des invités dans un but humanitaire».

Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a lui aussi dénoncé le régime de Damas, estimant que celui-ci tentait «d'entraîner dans un scénario catastrophe» la Turquie, et a appelé la population à «garder son sang-froid face à chaque provocation visant à attirer la Turquie dans le bourbier syrien».

Damas a rejeté dimanche les accusations turques et a fait porter à M. Erdogan la responsabilité du double attentat.

«La Syrie n'a pas commis et ne commettra jamais un tel acte, car nos valeurs ne nous le permettent pas», a déclaré le ministre syrien de l'Information, Omrane al-Zohbi.

«C'est Erdogan qui doit être interrogé sur cet acte (...). Lui et son parti en assument la responsabilité directe», a affirmé M. Zohbi. «Il doit démissionner en tant qu'assassin», a-t-il dit.

Et le ministre syrien s'est interrogé: M. Erdogan «veut-il pousser les États-Unis (à une intervention en Syrie) en lui disant que son pays est attaqué?», «veut-il faire échouer les efforts entre les Russes et les Américains?».

Moscou et Washington se sont entendus la semaine dernière pour exhorter Damas et les rebelles à s'asseoir autour d'une table.

Par ailleurs, M. Davutoglu a reproché à la communauté internationale son «silence» sur le dossier syrien, établissant un lien de causalité entre ce mutisme et «l'attentat barbare» de samedi.

«Le dernier attentat montre comment une étincelle se transforme en incendie lorsque la communauté internationale reste silencieuse et que le Conseil de sécurité de l'ONU est incapable d'agir», a-t-il déclaré.

La veille, le chef de la diplomatie turque avait averti que les forces de sécurité turques «avaient pris des mesures». «Nous ne permettrons pas de telles provocations dans notre pays», avait-il assuré.

Critiques

Ces assurances n'ont pas empêché les critiques de se multiplier dans la presse et l'opposition concernant la politique de soutien à la rébellion syrienne et d'accueil de réfugiés syriens, au nombre de 400 000 actuellement.

«Depuis des mois, (la Turquie) est devenue partie prenante dans cette guerre civile en soutenant directement l'opposition» syrienne, a estimé l'éditorialiste Can Dündar dans le quotidien Milliyet. «Le gouvernement aurait dû prévoir la réaction de Damas et prendre les mesures nécessaires pour protéger la population».

«Ce massacre est le produit des politiques belliqueuses du pouvoir» turc, a commenté Orhan Bursali, du quotidien d'opposition Cumhurriyet, tandis que le chef de l'opposition sociale-démocrate, Kemal Kiliçdaroglu, appelait le gouvernement à «revoir sa politique étrangère».

À Reyhanli même, où avaient lieu dimanche les enterrements des premiers corps identifiés, la tension était vive entre les habitants et les nombreux Syriens installés dans la ville.

«On veut juste qu'ils partent. Rien de tout cela ne serait arrivé s'ils n'étaient pas là», a déclaré à l'AFP un habitant, Ahmet Keskin, charpentier. «Certains d'entre eux vendent des cartouches sur des étals dans la rue.(...) On n'avait jamais vu ça avant dans cette ville paisible», a-t-il ajouté.

Samedi, la police a dû tirer en l'air pour disperser des groupes de jeunes voulant agresser des Syriens.