Cécile Kyenge est entrée dans l'Histoire en devenant la première personne de race noire à obtenir les clés d'un ministère en Italie. Mais les réjouissances pour ce «grand pas en avant» ont été troublées par un barrage d'insultes. De quoi donner des munitions à la ministre de l'Intégration et militante des droits des immigrés, qui se dit «noire et fière de l'être».

«Guenon congolaise». «Zouloue». «Ministre bonga bonga». Depuis sa nomination le 27 avril dernier, la première ministre noire de l'histoire de l'Italie, Cécile Kyenge, est couverte d'insultes par des groupes d'extrême droite. Signe du chemin à parcourir avant que l'Italie ne soit «plus intégrationniste et vraiment multiculturelle», comme l'a promis le nouveau premier ministre démocrate Enrico Letta à l'embauche de l'ophtalmologue d'origine congolaise.

Encore mercredi, l'inscription «Kyenge, retourne au Congo» est apparue à l'entrée du bureau de la femme de 48 ans, établie en Italie depuis 1983. Les auteurs de la bannière n'ont pas cru nécessaire de se cacher: elle était signée «Forza Nuova», un parti néo-fasciste homophobe et xénophobe.

La volée de bois vert ne provient pas seulement de la frange d'extrême droite. Un parlementaire de la Ligue du Nord, parti de droite proche de Silvio Berlusconi, a déclaré que Cécile Kyenge ferait une meilleure femme de ménage qu'une ministre. Mario Borghezio, député au Parlement européen, a ajouté qu'elle imposerait ses «traditions tribales du Congo» aux Italiens.

Le politicien faisait allusion au père polygame de la ministre de l'Intégration. Elle a grandi dans une famille de 38 enfants nés des quatre femmes de son père catholique. Une question sur laquelle elle a été interrogée dès le début d'une longue entrevue sur la télévision d'État Rai, le 5 mai.

Cependant, la principale intéressée encaisse le coup avec le sourire. Mariée à un Italien et mère de deux enfants, Cécile Kyenge milite pour les échanges interculturels et pour les droits des immigrés depuis 10 ans. L'année dernière, elle a fait intensément campagne pour que les enfants d'immigrants deviennent citoyens italiens dès la naissance, plutôt qu'à l'âge de 18 ans, un projet de loi qu'elle espère faire adopter pendant son mandat.

«Je ne suis pas une femme de couleur, je suis noire et je le dis avec fierté», a affirmé la ministre de l'Intégration le 3 mai en conférence de presse. Elle a refusé de répliquer à ses détracteurs, préférant se concentrer sur les qualités de sa terre d'accueil.

«L'Italie a une grande tradition d'hospitalité. Il faut s'efforcer de la garder vivante», a-t-elle dit.

»Une plaie en Italie»

Dans un pays où des footballeurs noirs sont parfois accueillis par des cris de singe dans les gradins, la nomination de Cécile Kyenge allait forcément faire des vagues. «Le racisme est une plaie en Italie», avait écrit en 2010 le journal du Vatican, l'Osservatore Romano, suite à des attaques contre des ouvriers africains.

«Je me fais traiter de nègre presque chaque jour dans la rue», dit à La Presse un vendeur sénégalais ambulant de 38 ans qui désire garder l'anonymat.

L'afflux d'immigrants en Italie est un phénomène relativement récent en comparaison au reste de l'Europe. En 1991, 1 résidant sur 100 détenait un passeport étranger, contre 1 sur 12 aujourd'hui.

Cécile Kyenge peut se consoler: elle a de bons amis au Parlement. La présidente de la Chambre des représentants, Laura Boldrini, avait salué son entrée dans le cabinet comme «un grand pas en avant».

Et la ministre de l'Égalité, Josefa Idem, a ordonné une enquête afin de déterminer si les auteurs des insultes contre Kyenge pouvaient être poursuivis en justice. Il faut dire que la ministre Idem est elle-même une Italienne d'adoption originaire d'Allemagne. Mais ça, personne ne l'a reproché à la grande blonde...