L'un des plus grands procès néonazis de l'après-Deuxième Guerre en Allemagne s'est ouvert lundi à Munich (sud) pour juger neuf meurtres racistes après une enquête marquée par une cascade de scandales et de dysfonctionnements.

L'affaire, élucidée fin 2011, a mis en lumière le danger sous-estimé des réseaux d'extrême droite allemands. Elle a également mis en cause l'action des renseignements intérieurs et embarrassé le gouvernement allemand, les meurtriers présumés ayant pu agir pendant des années sans être inquiétés.

La principale accusée, Beate Zschäpe, 38 ans, accusée d'avoir participé à dix meurtres entre 2000 et 2007, est apparue devant le tribunal, sans menottes, en tailleur-pantalon noir et chemise blanche lundi en début de matinée.

L'allure élégante, cette femme originaire de l'ex-RDA, seule survivante d'un trio néonazi, apparaissait en public pour la première fois depuis qu'elle s'est rendue à la police le 8 novembre 2011, après une cavale de quatre jours à travers l'Allemagne.

Bras croisés et amaigrie, les cheveux soigneusement coiffés, elle est restée debout plusieurs minutes, tournant le dos aux caméras, entourée de policiers.

Beate Zschäpe, qui a vécu dans la clandestinité pendant 13 ans, encourt une lourde peine de prison. Elle doit répondre de sa participation présumée à neuf meurtres xénophobes, plus celui d'une policière en 2007. Elle est également soupçonnée d'être impliquée dans deux attentats contre des communautés étrangères et 15 braquages de banque, selon l'acte d'accusation.

Deux acolytes de la jeune femme, Uwe Böhnhardt (34 ans) et Uwe Mundlos (38 ans), les meurtriers présumés, se sont donné la mort, le 4 novembre 2011 alors qu'ils étaient sur le point d'être découverts par la police.

Outre Beate Zschäpe, quatre personnes soupçonnées d'avoir fourni une aide logistique au trio néonazi, dénommé Clandestinité national-socialiste (NSU), sont jugées à Munich.

Face à eux, plus de 70 parties civiles, essentiellement des proches de victimes, qui entendent comprendre pourquoi leur père, frère ou fils ont été tués et pourquoi la police a semblé commettre tant d'erreurs dans l'enquête.

«Par sa dimension historique, sociale et politique, ce procès est l'un des plus importants de l'Après-guerre en Allemagne», ont estimé les avocats de Semiya et Kerim Simsek, enfants d'un vendeur de fleurs immigré turc, tué en 2000.

Juste avant le début du procès, une bousculade provoquée par deux femmes en colère, «voulant attirer l'attention des médias» selon la police, s'est produite devant le palais de justice tandis qu'une centaine de personnes manifestaient contre le racisme.

Devant l'entrée du tribunal, une couronne mortuaire noire a été installée en souvenir de l'une des victimes et des affiches avec les photos d'autres victimes ont été placardées aux alentours de l'entrée du vaste complexe de béton.

Le début des audiences a été marqué par une demande de renvoi déposée par les avocats de Zschäpe qui s'estiment discriminés par le fait qu'ils doivent se soumettre à une fouille à l'entrée du tribunal.

Les avocats des parties civiles ont souhaité que ce procès permette de faire la lumière sur les circonstances de ces meurtres qui visaient des petits commerçants, la plupart turcs ou d'origine, dans toute l'Allemagne. Les familles ont été accusées à tort, et jamais la piste xénophobe n'a, semble-t-il, été explorée sérieusement par les enquêteurs.

Les renseignements intérieurs ont également été accusés de négligences voire de racisme. Des documents importants ont été détruits avant que l'enquête ne soit bouclée.

L'Allemagne a officiellement présenté des excuses à l'ONU pour les erreurs commises durant l'enquête et la chancelière Angela Merkel avait exprimé l'an dernier «la honte» de l'Allemagne devant ces crimes.

La Cour devra répondre à cette question qui hante le pays depuis la révélation de l'affaire : comment ces trois néonazis, dans le collimateur des services de renseignements intérieurs dès la fin des années 90, ont-ils pu vivre si longtemps sans jamais être inquiétés?

Les enfants d'Enver Simsek ont dénoncé via leur avocat une certaine indifférence du monde politique pour les crimes commis par l'extrême droite, active surtout en ex-RDA depuis la Réunification. «Est-ce que cela tient au fait que cela touche une frange fragile de la population, les immigrés?», se sont-ils interrogés.

Un avocat de Beate Zschäpe a fait savoir qu'elle ne comptait pas s'exprimer sur les faits reprochés. Le procès, déjà programmé jusqu'en janvier 2014, devrait se poursuivre bien au-delà de cette date.