L'opposition russe organise lundi un grand rassemblement pour l'anniversaire d'une manifestation marquée par des affrontements avec la police, à l'origine d'accusations et d'arrestations tous azimuts qui ont mis un coup de frein à la contestation du régime de Vladimir Poutine.

«Libérez les prisonniers politiques» sera l'un des slogans des participants appelés à se rassembler sur la place Bolotnaya, dans le centre de Moscou, là où avait dégénéré la manifestation du 6 mai 2012 contre le retour au Kremlin, le lendemain, de Vladimir Poutine pour un troisième mandat de président.

Une trentaine de policiers et des dizaines de manifestants avaient été blessés au cours d'affrontements dont le déclenchement reste controversé, l'opposition accusant les forces de l'ordre de les avoir provoqués pour justifier un tour de vis contre toute velléité de contestation.

Une marche, apparemment de dimension plus modeste, doit être aussi organisée dimanche à Moscou pour demander la libération des personnes détenues à la suite de cette manifestation.

Depuis un an, près d'une trentaine de personnes ont été inculpées d'organisation ou participation à des «troubles massifs» à l'ordre public - délit passible de dix ans de camp - parmi lesquelles le dirigeant du Front de gauche, Sergueï Oudaltsov, qui a pour interdiction de quitter son domicile, de téléphoner et de se connecter à l'internet.

Un opposant a déjà été condamné fin avril à deux ans et demi de camp pour «organisation de troubles massifs», tandis qu'une quinzaine de personnes sont en détention provisoire.

La plupart des inculpés sont des citoyens ordinaires qui n'appartiennent à aucun mouvement politique, tels Fiodor Bakhov, un professeur de chimie de 31 ans, Iaroslav Belooussov, un étudiant de 21 ans ou Elena Kokhtareva, une retraitée de 57 ans.

Indignée de voir que des policiers antiémeute s'acharnaient sur des manifestants «pacifiques», la retraitée a déclaré aux enquêteurs avoir «jeté une bouteille en plastique contre les assaillants».

D'autres sont accusés d'avoir renversé des cabines de toilettes amovibles ou résisté aux forces de l'ordre, mais tous ont été inculpés de «troubles massifs», un délit qui selon le Code pénal russe signifie «atteinte à l'ordre public par une foule, incendie volontaire, destruction de biens, utilisation d'armes à feu, d'explosifs».

Il n'y a pourtant eu ni morts ni blessés graves ni coups de feu ou incendie volontaire au cours de cette manifestation. Les poursuites judiciaires suscitent l'indignation de l'opposition qui y voit une volonté de dissuader toute nouvelle mobilisation.

Une commission russe regroupant des défenseurs des droits de l'homme, artistes et journalistes a publié fin avril un rapport dénonçant d'une part l'implication de «provocateurs» mandatés par les autorités lors de cette manifestation et d'autre part des «violations massives» de la législation dans les enquêtes contre les manifestants.

Dans la foulée, une commission d'enquête internationale a été créée à l'initiative des plus grandes ONG de défense des droits de l'homme tels Amnistie Internationale et Human Rights Watch.

Les procès à venir pour les «inculpés du 6 mai 2012» ressemblent aux «préparatifs des grands procès de l'ère stalinienne en 1937», a déclaré à l'AFP l'ex-dissidente soviétique Lioudmila Alexeeva.

Traduire en justice des «personnes ordinaires» dans le cadre de cette affaire est «un signal envoyé à tous ceux qui participent aux manifestations qu'ils risquent leur liberté», a renchéri l'analyste Maria Lipman, du Centre Carnegie.

Depuis le retour au Kremlin de Vladimir Poutine, contre lequel la contestation avait commencé après des fraudes massives dénoncées par l'opposition aux législatives remportées fin 2011 par le parti au pouvoir, «la Russie se transforme en État policier», ajoute Mme Lipman.

La diffusion en octobre d'une émission par NTV, chaîne de télévision pro-pouvoir, affirmant sur foi d'enregistrements en caméra cachée que M. Oudaltsov était impliqué dans un projet visant à renverser le pouvoir par la force avec des financements étrangers a valu à l'opposant - qui nie avec véhémence - de nouvelles poursuites.

Depuis la manifestation du 6 mai dernier, l'opposant numéro un à Vladimir Poutine, le libéral nationaliste Alexeï Navalny, a été visé par plusieurs enquêtes pénales dont l'une lui vaut actuellement d'être jugé pour «détournements de fonds», une affaire qu'il considère montée de toutes pièces pour «l'écarter de la scène politique».

Des protestations de l'opposition qui avaient réuni en 2012 jusqu'à 100 000 personnes «il ne reste rien, ni mouvement civil organisé ni leader charismatique», estime Mme Lipman.

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