Après deux mois d'impasse, un nouveau gouvernement est né en Italie : une coalition gauche-droite totalement inédite dans la péninsule, incarnée par le premier ministre démocrate Enrico Letta et son numéro deux, le chef du parti de Silvio Berlusconi, Angelino Alfano.

Les 21 nouveaux ministres de tous bords prêteront serment dimanche à 09h30 GMT au Quirinal. Attendu avec impatience par ses partenaires européens, ce gouvernement hétérogène suscite quelques doutes sur sa longévité et sa cohésion.

Mais «c'était le seul gouvernement possible et sa constitution ne pouvait pas attendre», a commenté le président Giorgio Napolitano. Cette alliance permettra au nouveau gouvernement d'obtenir la confiance des deux Chambres, s'est-il félicité, avant d'empoigner longuement les deux mains du nouveau chef du gouvernement, comme pour lui donner du courage.

Signal fort de cette «large entente» encore mal acceptée par certains militants du Parti démocrate (gauche) de M. Letta, M. Alfano, chef du Peuple de la liberté (PDL, droite), parti créé par le Cavaliere, sera vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur.

Ainsi, M. Berlusconi «s'est assuré l'impunité et le pays a été condamné. C'est une combine honteuse, la dernière valse de la Caste», s'est insurgé l'ancien juge anticorruption Antonio di Pietro.

À l'inverse, le jeune maire PD de Florence, Matteo Renzi, a accueilli avec enthousiasme «cet excellent gouvernement -enfin un signal-, qui renvoie à la retraite tous les 'big'», les vieux routiers de la politique.

Le ministère de l'Économie et des Finances va au directeur de la Banque d'Italie, Fabrizio Saccomanni, appelé au chevet de la troisième économie de la zone euro, plongée dans la récession.

«Parmi les nombreux défis que le gouvernement du président Letta devra affronter, figure la reprise du pays, qui ne pourra qu'être liée à la reprise des entreprises», a réagi le syndicat patronal Confindustria, qui décerne un satisfecit à ce «gouvernement de qualité».

Le principal syndical italien, la CGIL, attend de connaître son programme pour juger le nouvel exécutif.

Un visage connu fait une nouvelle apparition: celui de l'ex-commissaire européenne radicale Emma Bonino, nommée aux Affaires étrangères. Quant au ministère de la Justice, très sensible pour M. Berlusconi, qui est poursuivi dans plusieurs procès, il revient à l'actuelle ministre de l'Intérieur, Anna Maria Cancellieri.

En présentant avec une «sobre satisfaction» son gouvernement, compte tenu des difficultés à venir, M. Letta s'est félicité surtout du «record de présence féminine et du rajeunissement de l'équipe».

Le président Napolitano, réélu quasiment contre son gré à bientôt 88 ans, avait plaidé pour «une rénovation, un changement générationnel et une forte présence féminine». Mission accomplie avec une moyenne d'âge de 53 ans (contre 64 dans l'exécutif de Mario Monti) et un tiers de femmes (7 ministres sur 21, un record en Italie).

De plus, de nombreuses figures jusqu'ici inconnues apparaissent dans ce gouvernement, comme Cécile Kyenge, originaire de République démocratique du Congo, nommée ministre de l'Intégration, première femme noire à participer à un gouvernement en Italie, ou Josepha Idem, championne olympique de kayak, qui détient le record du nombre de participations aux JO chez les dames, nommée ministre de la Parité, de la Jeunesse et des Sports.

Une façon de répondre au besoin de changement exprimé par les Italiens, notamment par le succès inattendu de Beppe Grillo, qui a vu dans les tractations tous azimuts un «mépris pour les huit millions d'Italiens» ayant voté pour lui.

La tâche de M. Letta était compliquée: faire travailler ensemble deux forces qui ont multiplié les attaques mutuelles depuis des années. La gauche répétait sur tous les tons ces dernières semaines qu'elle n'accepterait jamais de gouverner avec son ennemi juré, Silvio Berlusconi.

Majoritaire à la Chambre des députés, mais pas au Sénat, elle n'avait pu trouver l'appui nécessaire pour former un gouvernement. Après deux mois d'impasse politique, elle a dû opérer un virage à 180 degrés.

Après d'intenses tractations tous azimuts menées ces deux derniers jours, le nouveau chef du gouvernement fera connaître son programme lundi devant la Chambre des députés, en particulier dans le domaine économique.

Enrico Letta a déjà mis en cause, tout comme M. Berlusconi, les politiques d'austérité. Mais le Cavaliere milite pour la suppression d'une taxe immobilière - dont il avait même promis le remboursement pendant sa campagne -, ce qui pourrait coûter jusqu'à huit milliards d'euros à l'Italie, plongeant la gauche dans l'embarras.

«Le miracle voulu par Napolitano a réussi. Le premier gouvernement Letta tourne une page. Jeune et neuf», relève Giancarlo Santalmassi, du site d'experts InPiù, avant de tempérer, compte tenu «des forces robustes» à la gauche du PD: «Il a devant lui 18 mois de vie».