«Je pense que mes copains sont un petit peu jaloux, parce que moi, j'ai deux mamans et deux papas alors qu'eux, ils n'ont que deux parents», assure Simon, 6 ans, en se tortillant avec son frère Joaquin, 3 ans, sur les genoux de ses parents, deux couples homosexuels, assis côte à côte sur le canapé d'une des deux maisons familiales, à Amsterdam.

Alors qu'en France les députés débattent du «mariage pour tous» et qu'au Royaume-Uni les députés l'ont approuvé mardi à une large majorité, aux Pays-Bas, premier pays au monde à autoriser le mariage homosexuel, en 2001, le débat est déjà ailleurs.

Le ministère de la Justice va d'ici peu enquêter sur la possibilité de reconnaître trois parents ou plus pour un même enfant, notamment pour protéger les familles «roses».

De fait, si les quatre jeunes trentenaires Joram, Guillermo, Karin et Evelien élèvent ensemble Simon et Joaquin, aux yeux de l'administration néerlandaise, seules Karin et Evelien ont le droit de s'appeler des «parents». Joram et Guillermo n'ont donc pas de droits légaux sur les enfants.

Ils ne peuvent par exemple prendre aucune décision en cas d'intervention médicale importante sur les enfants. Et si les deux hommes meurent, la fiscalité n'accordera pas les avantages sur l'héritage auxquels Simon et Joaquin auraient droit en tant qu'enfants légaux.

De plus, si les deux couples venaient à se disputer, Karin et Evelien auraient le droit d'exiger que Joram et Guillermo sortent complètement de la vie des deux enfants du jour au lendemain.

«La loi est en retard sur la réalité», assure Joram : «ce qui compte, en tant que parent ou futur parent, c'est de vouloir élever des enfants dans une construction dans laquelle on a énormément de confiance».

«Bien sûr, on a envie d'être reconnu pour tout ce qu'on fait pour son enfant», poursuit Guillermo, au détour d'une balade en famille le long d'un canal d'Amsterdam : «avoir des enfants, c'est quelque chose qui change ta vie».

«Nous voulions que les enfants connaissent leurs parents»

Joram, Evelien, Guillermo et Karin sympathisent alors qu'ils partagent une colocation lors de leurs études à Amsterdam, après quoi les deux couples restent très bons amis. Lorsque l'envie d'avoir des enfants se fait sentir, ils se lancent à quatre dans l'aventure plutôt que de le faire à deux et d'opter pour l'adoption ou un donneur anonyme.

«Nous voulions que les enfants connaissent leurs parents, aussi bien leurs mères que leurs pères», explique Evelien. Sa compagne Karin, médecin, précise que les enfants ont été conçus par insémination artificielle «à la maison».

Evelien et Karin ont chacune porté un enfant tandis que Joram et Guillermo ont chacun donné leur semence pour un des enfants, mais ils ne souhaitent pas divulguer qui sont les parents biologiques de quel enfant. «Ce n'est pas important, ce qui compte c'est que nous sommes tous les quatre leurs parents et que nous les aimons», assure Karin.

Les enfants vivent la semaine avec leur mères à Arnhem (est du pays), où les deux pères viennent chaque jeudi s'occuper de leurs fils. Les week-ends, ils les passent à six, souvent à Amsterdam, chez Joram et Guillermo. Quant aux vacances, c'est également à six, tout comme les fêtes de famille ou les réunions de parents à l'école de Simon.

«Il faut élargir le concept de ce qu'est une famille»

Une modification de la loi sur la parentalité ne bénéficierait pas seulement aux familles «roses», elle pourrait également être profitable aux familles recomposées après un divorce, selon Liesbeth van Tongeren, députée écologiste auteur d'une motion parlementaire sur le sujet.

«Nous devons élargir le concept (de ce qu'est une famille, ndlr), c'est fini de considérer la parentalité uniquement comme un lien biologique ou de considérer qu'il n'y a obligatoirement que deux parents pour un enfant», soutient à l'AFP Mme Van Tongeren, selon laquelle entre 20 000 et 25 000 enfants vivent dans des familles «roses» aux Pays-Bas.

Tanja Ineke, présidente du COC, la plus ancienne association de défense des homosexuels au monde, soutient : «nous pensons que ce serait un beau délai si la loi pouvait être changée sous ce gouvernement, d'ici à quatre ans».

«Il y aura toujours des conflits, mais dans tous les cas il y aura une certaine sécurité pour l'enfant, car il sait que son père ou sa troisième mère ne pourra pas disparaître de sa vie du jour au lendemain», assure pour sa part Philip Tijsma, porte-parole du COC.

Lors d'un débat à la chambre basse du parlement en octobre, Fred Teveen, le secrétaire d'État à la Justice, avait indiqué qu'il voyait beaucoup d'objections pratiques à une telle reconnaissance, mais souhaitait attendre les résultats de l'enquête avant de prendre des décisions.

Quant à Simon et Joaquin, ils semblent ravis de leur situation familiale : «un jour, alors que Joaquin était à la crèche, deux filles voulaient jouer et voulaient toutes les deux être la maman, raconte Evelien, et il leur a dit "très bien, c'est tout à fait possible, j'ai la même chose à la maison"».