Homosexuel, antimafia et... gouverneur de la Sicile? Cela ressemble à l'amorce d'une blague qu'auraient inventée les Italiens du Nord sur l'île située à la botte de la péninsule. Mais Rosario Crocetta n'entend pas à rire avec la mafia, à qui il a recommandé de plier bagage à la suite de son élection, le 28 octobre. Portrait d'un ovni de la politique italienne.

Rosario Crocetta ne s'approche plus des fenêtres de sa maison depuis qu'il a échappé à un attentat en 2003. Tout juste élu à la mairie de Gela, bastion de la mafia sicilienne, il venait de mettre à la porte la femme d'un parrain qui travaillait aux affaires caritatives de la municipalité de 70 000 habitants. L'insulte suprême.

Sa vie n'a plus jamais été la même. Encore aujourd'hui, deux sbires à lunettes fumées ne lâchent pas le Sicilien de 61 ans d'une semelle.

Rosario Crocetta a peut-être perdu sa liberté de mouvement, mais son acharnement contre les mafiosi de la Cosa Nostra lui a fait gagner la confiance des Siciliens: le candidat du Parti démocrate a été élu gouverneur de l'île de 5 millions d'habitants il y a deux semaines avec 31% des voix.

Une victoire comparée à un séisme par le principal quotidien sicilien, La Repubblica. En effet, on a assisté à l'élection d'un politicien de gauche homosexuel dans une région traditionnellement machiste qui avait toujours voté à droite depuis la Seconde Guerre mondiale.

Fier de sa différence, il aime se présenter à la blague comme «chrétien, communiste, homosexuel et antimafia». «Je suis vraiment révolutionnaire», a-t-il lancé après son couronnement, lundi dernier.

«Il a signé sa première révolution lorsqu'il est devenu le premier maire ouvertement gai de l'histoire italienne, a expliqué en entrevue Lorenzo Tondo, journaliste enquêteur à La Repubblica. Tout le monde connaissait son orientation sexuelle.»

Depuis, Crocetta ne cesse de briser des tabous. Après avoir assaini les finances de la ville de Gela, il propose d'attribuer les contrats publics au hasard afin d'éviter les cartels chez les entreprises.

En outre, il fait ce que personne n'avait encore osé avant lui: nommer les parrains de «La Pieuvre». «C'était comme signer son arrêt de mort», dit Lorenzo Tondo.

L'ancien chimiste semble avoir trouvé la formule gagnante. Son zèle a contribué à coffrer 950 caïds et encouragé des commerces à refuser de payer le pizzo aux mafieux. Rosario Crocetta attribue à sa mère, modeste couturière, son souci de justice. «Elle me disait: il vaut mieux être pauvre et honnête», a-t-il affirmé en 2009.

La Cosa Nostra écartée pour le moment, le nouveau gouverneur devra passer un coup de balai dans les dépenses de la Sicile. Les dettes de l'île s'élèvent à 6,4 milliards de dollars, héritage de son prédécesseur, Raffaele Lombardo, qui est aujourd'hui mis en examen pour clientélisme... et collusion avec la mafia.

> 8 février 1951: Naissance à Gela, sur la côte sud de la Sicile, dans une famille ouvrière.

> 2003: L'ex-chimiste du groupe pétrolier ENI remporte la mairie de Gela, cinquième ville de la Sicile, après l'annulation de la victoire du candidat appuyé par la mafia.

> Avril 2009: Une quatrième tentative d'assassinat contre lui est déjouée par la police.

> Juin 2009: Élection au Parlement européen, où il devient vice-président de la Commission spéciale sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment d'argent. Malgré les menaces de mort, Bruxelles refuse de lui payer une escorte policière.

> Juillet 2012: Retour en Sicile, où il brigue avec succès le poste de gouverneur, sous la bannière démocrate. Le politicien homosexuel avait obtenu l'appui du Parti chrétien de droite, l'UDC.