Le pianiste turc Fazil Say a comparu hier devant un tribunal d'Istanbul. Son délit ? Avoir insulté les valeurs religieuses d'une partie de la population par des messages diffusés sur Twitter. « Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais s'il y a un pou, un médiocre, un magasinier, un voleur, un bouffon, c'est toujours un islamiste », a écrit Fazil Say, selon l'accusation. En avril, il a également plaisanté sur la durée de l'appel à la prière d'un muezzin: 22 secondes. «Quelle est l'urgence ? Un rendez-vous amoureux ? Un repas au raki ? » Dans une Turquie gouvernée par le premier ministre islamo-conservateur Recep Erdogan, ce nouveau procès repose la délicate question de la liberté d'expression, notamment celle des militants athées.

Laïcité

Depuis les réformes d'Atatürk, la Turquie est un pays laïque et la laïcité est l'un des fondements de la République. Mais en 2004, le nouveau code pénal turc prévoit une peine de prison pour toute offense « propageant la haine et l'hostilité » contre une institution, mais aussi « le dénigrement des croyances religieuses d'un groupe ». Fazil Say risque jusqu'à 18 mois de prison.

Blasphème

Ce sont des particuliers qui ont porté les tweets de Fazil Say à l'attention de la justice. Il n'est pas le premier artiste ou intellectuel à devoir défendre ses propos devant les tribunaux. Orhan Pamuk notamment, Nobel de littérature, a été jugé pour insulte à l'identité nationale en 2006 pour avoir déclaré: «Dans ce pays, un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués », rappelle le quotidien Le Monde.

Militant athée

Internationalement reconnu, Fazil Say n'a jamais caché ses ressentiments envers l'islamisme et le retour de la religion dans la vie publique de son pays. Ses critiquesdu gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP) suscitent régulièrement la controverse. «J'ai représenté le visage moderne de la Turquie par mon art partout dans le monde [...] et maintenant, je dois être jugé. Je me sens très étrange», a-t-il dit, selon l'AFP. Il menace à présent de s'exiler au Japon.

Islamo-conservateurs

Au pouvoir depuis 2002, l'AKP devrait pénaliser l'insulte aux valeurs religieuses dans la nouvelle Constitution dont se dotera bientôt la Turquie. «Jurer et lancer des insultes ne peut pas être considéré comme de la liberté d'expression», estime le vice-premier ministre Bekir Bozdag, cité par le quotidien Le Monde.

-Avec AFP, AP, Le Monde, The Guardian et France 24