Né il y a 40 ans, le Front national (FN) s'est imposé comme un acteur du jeu politique français, en étant capable d'influencer un pouvoir dont le mouvement d'extrême droite est cependant toujours resté éloigné, faute d'alliance avec d'autres partis.    

« Le Front national n'a pas atteint ses objectifs puisqu'il n'est pas au pouvoir », reconnait dans un entretien à l'AFP son fondateur Jean-Marie Le Pen, président d'honneur à 84 ans après avoir passé la main à sa fille Marine en 2011. « Mais il a déjà rempli une des conditions fondamentales, c'est la pérennité. Le mérite du FN, c'est d'avoir implanté dans la société politique française une force nationale différente », ajoute-t-il.

Au tournant des années 60 et 70, l'extrême droite était à genoux. Minée par ses divisions, elle perd le combat pour l'Algérie française et ne trouve aucun débouché politique.

Le 5 octobre 1972, une poignée de mouvements d'extrême droite décide de créer un nouveau parti, baptisé Front national. Désigné président, Jean-Marie Le Pen s'impose vite comme le leader incontesté.

Sa formation végètera toutefois dix ans avant de percer aux municipales de 1983. Début d'une ascension qui mènera Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 contre Jacques Chirac, puis sa fille Marine à obtenir le score record de 17,9 % au premier tour de celle de 2012.

Depuis 30 ans, le FN « a su mettre à jour des crispations de la société française et influencer l'orientation législative. Il a poussé à une révision compulsive des lois sur l'immigration et la sécurité », estime l'historien et universitaire Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite.

« Mais c'est davantage un lobby qu'un parti politique. Il n'a jamais touché au pouvoir », ajoute-t-il. À l'exception des législatives de 1986, qui se sont faites à la proportionnelle, le scrutin majoritaire l'a toujours tenu à l'écart du Parlement, faute d'alliance électorale avec la droite.

« Dans le paysage européen, c'est une position pratiquement unique. Maintenu à distance du pouvoir, le Front national garde un formidable pouvoir d'influence, comme l'a encore montré la campagne de 2012 », abonde Gilles Ivaldi, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Avec un Nicolas Sarkozy parlant d'« échec du multiculturalisme » ou déplorant le « trop d'étrangers » en France, Marine Le Pen s'est imposée en « centre de gravité » de la campagne présidentielle.

À l'heure actuelle, l'état-major de l'UMP, le parti dominant de la droite (opposition), se refuse toujours à une alliance avec le FN.

« Mais il va devenir de plus en plus compliqué pour l'UMP de justifier auprès de sa base un refus absolu, dès lors qu'on partagerait une bonne partie de son diagnostic sur l'immigration, ou dès lors qu'on renvoie dos à dos le FN et le PS », analyse Brice Teinturier, de l'institut de sondages Ipsos.

Selon Alexandre Dézé, chercheur au CEPEL (Centre d'études politiques de l'Europe latine), pour parvenir à une alliance, il faudra cependant « des renoncements beaucoup plus marqués de la part du FN ».

Car de la « priorité nationale », qui prévoit un traitement discriminatoire des étrangers, à la sortie de l'euro, le programme frontiste demeure à bien des égards profondément radical.

« Marine Le Pen reste aujourd'hui dans une sorte de "no man's land" politique. Elle conserve une parole assez libre et peut continuer de polariser le système, mais si elle veut véritablement (participer) au pouvoir, il va falloir qu'elle "déradicalise" ses positions », souligne Gilles Ivaldi.

Or, pour un parti anti-système, ces concessions ne sont pas sans risques : « si elle "désextrémise" trop, elle perd ses aspérités », résume M. Teinturier.

Dans l'immédiat, le contexte politique et social en France reste très favorable au parti d'extrême droite, avec un chômage et une paupérisation en hausse, des plans sociaux qui se succèdent et un pouvoir d'achat en berne.