Douze personnes ont été placées en garde à vue mardi dans le sud-est de la France, quatre jours après le lynchage dans un quartier sensible de la banlieue de Grenoble de deux jeunes sans histoire par une bande, un crime qui a choqué en France.

Les personnes en garde à vue sont de «très jeunes adultes», de 19 à 21 ans, et «la plupart ont des casiers judiciaires pour vol avec violences, violences avec armes et en réunion», a annoncé à la presse le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat.

Pour un motif apparemment futile - certains parlent d'un simple regard -, Kevin, étudiant, et Sofiane, éducateur, âgés de 21 ans, ont été tués vendredi dans un parc par une quinzaine de jeunes munis de manches de pioche, de marteaux et de couteaux. Ils ont reçu plusieurs coups de couteau, «sept à huit» pour Kevin, et «une trentaine» pour son ami Sofiane, selon le procureur.

Mardi en fin d'après-midi, une «marche blanche» en leur mémoire a réuni 10 000 personnes, selon la police. Les marcheurs étaient massés derrière les portraits des deux jeunes, a constaté une journaliste de l'AFP.

L'interpellation dans cette affaire de 12 personnes a mobilisé une cinquantaine de policiers et les hommes habillés en noir et cagoulés du Groupe d'intervention de la police nationale (GIPN).

Parmi les jeunes arrêtés figurent deux frères de 19 et 20 ans, tous deux militaires, qui semblent avoir joué un rôle central. «Les militaires sont à l'origine de la bagarre. Ils ont dit qu'ils réservaient leurs explications au juge. Ils le feront demain», a déclaré le procureur.

Trois autres individus «très violents», déjà «condamnés pour faits de grande violence» et soupçonnés d'avoir participé au lynchage, sont en fuite, a-t-il précisé.

«Basculer dans l'horreur en un déclic»

Lundi, le président socialiste François Hollande avait effectué dans le quartier en cause, dénommé la Villeneuve, une visite-surprise au cours de laquelle il a promis de «retrouver les auteurs de ces crimes odieux». Le chef d'Etat s'est notamment entretenu avec la mère d'une des deux victimes, Aurélie Noubissi, pédiatre, qui avait dénoncé la violence gratuite de jeunes sans «garde-fous», vivant «dans le désoeuvrement, l'oisiveté».

Pour le ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls, «Kevin et Sofiane ont été massacrés». «Ce crime ne peut pas rester impuni, il ne le restera pas», a-t-il ajouté, en dénonçant une «violence» qui «fait peur». Le quartier La Villeneuve, va devenir «une zone prioritaire de sécurité» pour mieux coordonner le travail des forces de l'ordre et mobiliser l'ensemble des acteurs, a précisé le ministre, en promettant des «moyens supplémentaires».

Ce nouveau drame, qui a choqué une grande partie de la France, est venu raviver le souvenir des trois nuits d'émeutes en 2010 dans cette même banlieue après la mort d'un jeune tué lors d'une fusillade avec la police après son braquage d'un casino. Le prédécesseur de François Hollande, Nicolas Sarkozy, avait alors promis une «guerre nationale» contre les «voyous».

Depuis, «des efforts ont été faits», admet Alain Manac'h, président d'une association locale, «la maison des habitants». Mais «il y a des jeunes qu'on ne peut plus tenir, qui sont tellement déstructurés, qu'ils peuvent basculer dans l'horreur en un déclic».

Si des choses «progressent petit à petit», «il reste beaucoup à faire», estime aussi Mahrez Kheriji, président de l'union de quartier de l'Arlequin, où ont eu lieu les émeutes de 2010.

«La police ne peut pas être la réponse à ce type de problèmes», juge Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS et enseignant à l'Institut d'études politiques de Grenoble. «On est dans un contexte de quartiers qui concentrent des populations précarisées, peu diplômées, aux marges de l'école et du marché du travail», des conditions favorables à «la constitution de bandes de jeunes», souligne-t-il.