«La crapule, ici, est sur ses terres». C'est ainsi que le grand reporter français Albert Londres décrivait Marseille (sud) en 1926. La 2e ville de France, où une élue a réclamé jeudi l'intervention de l'armée, traîne une réputation de capitale du crime, qui masque d'autres fléaux.

Au 19e siècle, des bandes faisaient déjà régner la terreur dans les rues de la ville, qui connaissait alors trois fois plus de méfaits que la moyenne nationale, soulignait en janvier dernier le procureur de la République, Jacques Dallest.

Une façon de relativiser une année 2011 déjà noire pour les règlements de comptes. 2012 s'annonce pire, avec un nouvel homicide survenu cette semaine, le 19e dans la région, qui a incité le gouvernement à annoncer une réunion ministérielle consacrée uniquement à cette agglomération pour le 6 septembre.

C'est dans l'entre-deux-guerres que se forge la légende du crime, quand les truands Carbone et Spirito règnent sur Marseille. Leur succéderont les frères Antoine et Barthélémy Guérini, puis Gaëtan Zampa et Francis Le Belge.

Autant de «parrains» d'un milieu dit «traditionnel», car implanté historiquement dans cette ville «porte de l'Orient», où se croisent gens, marchandises et trafics en tous genres. Avec des rivalités sanglantes : un soir de 1978, la tuerie du bar du Téléphone fait dix morts, triste record jamais battu. Dans les années 90, la «guerre des boîtes» apporte son lot de cadavres.

Rien de neuf, donc, sous le soleil de Marseille ? Depuis trois ans, la plupart des règlements de comptes émanent d'un «néo-banditisme» de cités, à distinguer de la voyoucratie passée, répondent policiers et magistrats.

Ses protagonistes sont jeunes, équipés d'armes de guerre dont le commerce s'est répandu. Ils s'entretuent pour des affaires liées au trafic de stupéfiants, principalement du cannabis, «atomisé» entre des clans qui se disputent une consommation locale, quand celui de l'héroïne, du temps de la «French Connection» des années 70, était plus centralisé et destiné à l'export.

À Noël, trois jeunes de 19-20 ans sont ainsi retrouvés carbonisés dans une voiture. Un trafiquant rival, âgé de 25 ans, a été écroué en juillet.

Face à cette violence qui désempare les politiques et fait valser les préfets, une élue socialiste a réclamé l'armée cette semaine, créant la polémique. Mais elle masque une autre réalité : la misère des quartiers nord de la ville où surviennent la plupart des règlements de comptes.

Marseille, ville pauvre où moins de la moitié des foyers fiscaux est imposable, l'est beaucoup dans sa périphérie, là où les barres d'immeubles ont poussé comme des champignons, entre 1955 et 1975, pour absorber 250.000 habitants supplémentaires, issus notamment de l'immigration.

À l'époque, «le déclin de la ville, foyer économique de la façade méditerranéenne française, paraissait improbable tant elle symbolisait le dynamisme et la croissance des Trente glorieuses», écrit Nicolas Douay, auteur d'une thèse sur la planification urbaine à Marseille.

Il s'amorce pourtant dans les années 70 avec le choc pétrolier et la crise qui s'ensuit, Marseille perdant 60.000 emplois entre 1975 et 1990 sous gouvernance socialiste. La municipalité de droite, aux affaires depuis 1995, assure avoir redressé la situation. Mais inégalités et retards restent criants, même si la ville change de visage avec le quartier d'affaires Euroméditerranée et son statut de capitale européenne de la Culture en 2013.

Dans ces cités des quartiers nord, le taux d'échec scolaire et de chômage des jeunes y est plus élevé qu'ailleurs, les perspectives d'intégration professionnelle rares et la drogue y serait la première source de revenus, souterraine et de survie.

«L'économie des trafics de drogue est, pour la plupart de ceux qui en sont les acteurs, une économie de la pauvreté qui satisfait au mieux à quelques besoins de consommation courante», souligne la sociologue Claire Duport, évoquant «des smicards du trafic».