La presse britannique, jadis réputée pour tout oser, s'est abstenue jeudi, tabloïds compris, de publier les photos du prince Harry nu à Las Vegas, après une ferme demande de la famille royale, mais aussi en raison du climat de prudence né du scandale News of the World.

Les deux clichés sulfureux du fils cadet du prince Charles, photographié ce week-end en pleine euphorie à Las Vegas lors d'une partie de «strip-billard», avec une ou deux jeunes femmes également déshabillées, étaient visibles aisément sur internet jeudi, notamment sur le site américain TMZ, qui les a révélées. Mais pas dans les médias britanniques, papier ou internet.

Seul le blogue politique britannique Guido Fawkes les a publiées, osant défier la demande officielle de la famille royale, qui a souligné que la publication de ces photos serait une atteinte au droit du prince à sa vie privée.

La palme de l'audace revient au Sun, qui, sous un titre évoquant «les joyaux de la Couronne», a mis à la une, exactement dans la même posture, avec le même genre de pendentif et de bracelet que le prince sur un des clichés, et le même grain que la photo originale, un reporter et une stagiaire du journal.

La plupart des journaux soulignent le paradoxe de voir ces photos s'étaler sur de nombreux sites de médias étrangers, «y compris des médias respectables», observe le Sun, le Times citant RTL en France ou CBC au Canada. «Ces photos sont vues par des millions de gens sur l'internet, mais le palais les interdit au Royaume-Uni», résume le Daily Mail.

Le blogue Guido Fawkes en revanche réagit vivement: «Cette situation illustre la menace sur la liberté de la presse en Grande-Bretagne. La vérité est que la peur fait se soumettre les médias traditionnels à cause de l'enquête Leveson.»

Cette commission d'enquête sur l'éthique de la presse, dirigée par le juge Brian Leveson, qui doit rendre son rapport à la fin de l'année, a été mise en place en juillet 2011 par le premier ministre David Cameron, à la suite du scandale d'écoutes illégales de célébrités par l'hebdomadaire News of the World (NotW), qui a dû depuis fermer ses portes.

«Les règles anciennes ne marchent pas à l'ère de l'internet», remarque Guido Fawkes.

La presse britannique ménage la famille royale depuis la mort de Diana, la mère de Harry, en 1997. Cependant, «avant l'enquête Leveson, l'histoire aurait été dans tous les tabloïds», renchérit auprès de l'AFP Gary Horne, directeur des études en journalisme au London College of Communication. «L'un d'eux aurait acheté les photos et elles n'auraient pas été sur l'internet, le Sun par exemple aurait publié sept ou huit pages de photos exclusives», avance-t-il.

Mais dans le climat actuel, souligne-t-il, «la plupart de ces tabloïds craignent de fâcher tout ce qui a du pouvoir parmi les célébrités ou la famille royale et font tout pour ne pas contrarier Leveson pendant qu'il rédige son rapport».

Un ancien responsable de NotW, Neil Wallis, estime aussi qu'aujourd'hui «les journaux sont terrifiés par leur ombre». Même réaction de Kelvin MacKenzie, ancien responsable du Sun, autre fleuron de l'empire Murdoch: «Le prince est célibataire et s'amuse avec des dames qui le veulent bien. Le seul problème, c'est Leveson.»

Harry, largement épinglé par la presse lors de précédentes frasques, comme son déguisement en officier nazi en 2005, se sort plutôt bien de cette affaire. Les journaux blâment plutôt ses gardes du corps, qui ont laissé prendre ces photos.

Beaucoup ont rappelé jeudi que ce prince charmeur de presque 28 ans, troisième dans l'ordre de succession au trône et pilote d'hélicoptère brûlant de retourner sur le front afghan, avait récemment très honorablement représenté sa grand-mère, la reine Élisabeth II, notamment en mars lors d'une tournée aux Caraïbes, ou ce mois-ci à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques.