Ban Ki-moon a entamé hier un voyage dans les Balkans, qui marquera la première visite d'un secrétaire général de l'ONU à Srebrenica depuis le massacre de 8000 Bosniaques perpétré par les forces serbes, en juillet 1995. Les Casques bleus n'avaient pu empêcher ce génocide - une impuissance qui continue de hanter l'ONU, a admis M. Ban. Dix-sept ans plus tard, Srebrenica a réappris à vivre, raconte notre collaboratrice, mais le poids du passé est toujours présent.

Srebrenica est une petite ville nichée dans les montagnes, à l'est de la Bosnie, pas très loin de la frontière serbe. Une seule route la traverse, et pour y entrer, on passe nécessairement devant le centre commémoratif de Potocari, là où sont enterrées les victimes du massacre de 1995.

Les stèles blanches s'alignent, certaines tombes sont encore fraîches, aussi fraîches que les souvenirs: le 11 juillet, 520 nouveaux corps ont été mis en terre, ceux des victimes récemment identifiées grâce à l'ADN.

Dix-sept ans après la fin de la guerre, Serbes et Bosniaques ont malgré tout peu à peu réappris à vivre ensemble à Srebrenica. La ville serait même parfaitement mixte selon les estimations de la mairie, basées sur les inscriptions à l'école. «On boit des cafés, on travaille ensemble. Aujourd'hui c'est tout à fait normal, explique Muhizin Omerovic, dit Djile, survivant du massacre. En 2001, parler à un Serbe en étant bosniaque, c'était être un traître!» D'autant plus que dans des petites villes comme Srebrenica, tout se sait.

De 36 000 habitants avant la guerre, ils ne seraient plus que 6000 aujourd'hui. Saban Dedic est originaire de la région. Il y a vécu la guerre, y a échappé de justesse à la mort. En 2000, il a décidé de rentrer à Pobudje, village situé à quelques kilomètres de Srebrenica. «Je ne me voyais vivre nulle part ailleurs.»

Chômage élevé

Avant 1992, il a eu un emploi salarié pendant plus de 30 ans. Depuis, faute d'en trouver un autre, il vit du travail de la terre, presque en autosuffisance. «Une association française nous a beaucoup aidés à notre retour, elle nous a donné des graines pour le blé. Maintenant, on a aussi du maïs, des tomates, des pastèques, et même une vache! Quand on a un peu de surplus, on essaie de le vendre pour payer l'électricité.»

Après la guerre, les usines n'ont pas rouvert autour de Srebrenica, et depuis quelques années, les fonds des organisations non gouvernementales se sont considérablement réduits. La Bosnie tout entière souffre d'un taux de chômage élevé, qui atteint de 40 à 60%. À Pobudje, ils sont ainsi moins d'une dizaine sur 700 habitants à avoir un emploi salarié. Il faut dire que ce village est entièrement bosniaque, et est situé dans ce qui est devenu la «Republika Srpska», entité serbe de Bosnie, créée par les accords de paix de Dayton. «Ici, les Bosniaques passent après les Serbes», soupire Saban Dedic.

«Les entreprises privées appartiennent aux Serbes, et les Bosniaques qui y travaillent sont des exceptions, indique Sehida Abdurahmanovic. Pour travailler, il faut se tourner vers les institutions publiques, mais il n'y a pas beaucoup de places. D'une manière générale, il n'y a pas de travail, pour personne. Aucune perspective.»

Revenue vivre à Srebrenica en 2003 pour «prouver aux Serbes» qu'ils ont échoué à «faire de la région un territoire ethniquement pur», elle souhaiterait que la ville puisse aujourd'hui progresser, «pour garder les jeunes».

Car si leurs parents ont fait le choix de revenir à Srebrenica ou de s'y installer au lendemain de la guerre, les jeunes n'ont souvent qu'une envie: partir. C'est le cas de Rasyda. Elle a 19 ans et rêve d'une ville dynamique où elle pourra trouver un emploi à la fin de ses études. «Je passe devant le centre commémoratif tous les jours et je fais chaque fois une prière. Je pense à mon père disparu. Mais ils sont morts, et nous devons continuer à vivre et à avancer.»