Rien ne laissait croire vendredi matin que Cinera, un petit village minier situé dans le nord-ouest du pays, à une quarantaine de kilomètres de la ville de Leon, était au bord de l'insurrection.

À l'arrivée, les rues étaient calmes. Quelques hommes s'affairaient dans le centre sportif, un modeste établissement sur lequel les résidants ont écrit il y a quelques jours un plaidoyer en faveur du maintien de l'activité minière dans la région.

«Je pense que ça va très mal finir... Si les subventions gouvernementales ne sont pas rétablies, tout ici va fermer», confie Julian Sanchez, un mineur retraité de 60 ans croisé sur place.

Le village, explique-t-il, a vu le jour il y a une soixantaine d'années à l'initiative de l'entreprise qui exploite les mines avoisinantes. Toute la population dépend de l'exploitation du charbon et voit donc d'un très mauvais oeil la décision gouvernementale.

Quelques jours plus tôt, plusieurs résidants se sont rassemblées sur la route nationale qui longe le village pour former une barricade et bloquer la circulation. Des affrontements musclés ont suivi avec les policiers de la Garde civile dépêchés sur place.

Les forces de l'ordre sont ensuite rentrées dans le village à la poursuite des responsables, pénétrant dans plusieurs maisons. Un vieil homme, Paco, a été battu «sans raison» au dire des résidants et a été blessé à la main.

Croisé au café de la petite place centrale, il refuse de parler et disparaît. «Il a peur», confie son frère, Juan Niembro, qui en veut aux policiers de s'être comportés comme des «sauvages». «On est quasiment en situation de guerre civile ici», ajoute-t-il.

À proximité de l'école, La Presse croise ensuite un groupe de jeunes mineurs qui préparent visiblement une nouvelle intervention. «Vous devriez porter une veste pour vous identifier comme journaliste sinon la Guardia civil va vous battre aussi», prévient l'un d'eux.

Deux délégués syndicaux arrivent peu de temps après dans le village et confirment qu'une opération se prépare.

«Le pouvoir nous traite comme des terroristes. Mais le problème ici, c'est le gouvernement», peste Ruben Dario, un des délégués, qui s'attend à ce jour-là à une brève coupure de route sans violence.

Vers 11h, un groupe de résidants, dans lequel figurent jeunes et moins jeunes, s'agglutine près de la route nationale. Au moment où un semi-remorque apparaît sur la route, des hommes cagoulés s'avancent et forcent le chauffeur à s'arrêter en le menaçant avec des lance-pierres. Ils l'obligent à placer le véhicule à travers la route et prennent les clés.

«Ils revendiquent leurs droits mais à mon préjudice. Moi aussi j'ai besoin de manger. Ils m'empêchent de travailler», peste Thomas Alonso, qui n'a rien d'autre à faire que d'attendre un dénouement qui prendra plusieurs heures.

Les manifestants, en plus d'arrêter le camion, placent des garde-fous métalliques arrachés d'une barrière sur les rails de chemin de fer qui longe la route avant de se retirer sur le pont menant au village.

Peu de temps après, les policiers arrivent et la tension monte. Les jeunes croisés plus tôt réapparaissent cagoulés. L'un d'eux porte un tube métallique qui fait office de canon pour lancer... des balles de golf. Un autre porte des feux d'artifice que les mineurs tirent aussi avec des tubes métalliques contre les policiers comme s'ils manipulaient des lance-roquettes. «Ça permet de garder les policiers à distance», confie l'un d'eux.

Ruben Dario tente de convaincre les jeunes de rester calmes, en vain. «Ils veulent en découdre», confie-t-il.

Des policiers se sont postés à l'autre bout du village, près d'un terrain de football. Les jeunes tirent leurs projectiles et se replient dans l'angle de la rue, les policiers répondent avec des gaz lacrymogènes et des balles de plastique. Tout le monde dans le village est sur les dents, craignant une nouvelle entrée en force.

«Ils défendent nos intérêts», se félicite malgré tout une commerçante qui regarde les jeunes masqués s'agiter au coin de la rue. Après une demi-heure d'affrontements, ils se replient.

Ils réapparaîtront peu de temps après, le visage à l'air, dans de nouveaux vêtements qui visent à empêcher leur identification. Assis au café du coin, ils pavoisent comme des combattants de retour du front.

Pendant ce temps, les autorités déployées sur la route nationale attendent. «On ne peut rien faire tant qu'on n'a pas les clés. On attend les décisions d'en haut», confie un policier.

Quelques agents vêtus de leur équipement anti-émeute s'approchent du camion pour prendre la mesure de la situation.

En remontant sur la route, ils se font tancer par des résidants du village qui leur crient des insultes. De lourds regards sont échangés mais rien ne se passe.

Dans le village, l'heure est à la bonne humeur. Le climat s'allège. Un ancien mineur septuagénaire en profite pour dire que lui aussi a tiré des feux d'artifice quelques jours plus tôt. «Je me suis réfugié ensuite dans ma maison. Tout le monde participe», confie-t-il.

Julian Sanchez s'amuse. Assis dans l'entrée de l'école, il salue des amis, les traite de «révolutionnaires».

«Il n'y aura plus de bataille aujourd'hui», souligne l'ancien mineur, qui ricane lorsqu'on lui demande à quel moment la circulation va pouvoir être rétablie.

«Ça, ça dépend de la personne qui a les clés», dit-il.