Tandis que la Russie prépare avec enthousiasme ses Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sochi, le passé trouble de la ville pourrait faire ombrage au beau projet de Vladimir Poutine. Depuis la sélection de la ville comme hôte des Jeux, les Circassiens, anciens habitants de la région, chassés en 1864 par l'armée impériale russe au terme d'une invasion sanglante ayant duré un siècle, sont déterminés à faire entendre leur cause: la reconnaissance de leur génocide par Moscou.

Ils étaient des milliers à s'être rassemblés à Istanbul et dans différentes villes d'Europe et des États-Unis, le 21 mai dernier (jour de la défaite des Circassiens face à l'armée tsariste), afin de manifester contre la tenue des prochains Jeux olympiques d'hiver dans la capitale de leurs ancêtres. Car si, pour la Russie, l'année 2014 marquera la tenue des premiers Jeux d'hiver sur son territoire, pour les Circassiens, elle marquera les 150 ans d'une défaite qui hante, jusqu'à aujourd'hui, la mémoire de ses descendants.

«Nous ne sommes pas contre l'esprit des Jeux olympiques, mais personne n'accepterait la tenue d'un tel événement à Auschwitz. Sochi, c'est notre Auschwitz», déclare Zack Barsik, militant américain et cofondateur du site www.nosochi2014.com.

Pour M. Barsik, Sochi représente une ville perdue. Les Jeux de 2014 sont donc, pour beaucoup de Circassiens, l'occasion de ramener leur génocide au premier plan de la scène internationale. «Nous militons pour notre droit à retourner sur notre terre natale. [...] À la chute de l'Union soviétique, je suis allé en Russie afin de demander ma citoyenneté russe, dans l'espoir de pouvoir vivre sur la terre de mes ancêtres. Le gouvernement a refusé de me l'accorder, car mon père est jordanien. Beaucoup de Circassiens peinent, comme moi, à faire légaliser leur statut en Russie.»

La Géorgie a récemment reconnu le génocide et érigé un monument à la mémoire des Circassiens, mais Moscou n'entend pas du tout emboîter le pas. Un rapport publié en mai dernier par l'Institut russe d'études stratégiques intitulé La question circassienne et le facteur externe, faisait même état des causes du danger de la question circassienne pour la sécurité du pays. Parmi celles-ci, l'existence de réseaux d'organisations radicales, formés grâce aux nouvelles technologies.

«Beaucoup de gens en Russie ne sont pas contents que la question circassienne ait été soulevée. Les autorités du pays ont tendance à voir toute forme de critique sur l'histoire de la Russie comme un complot de l'Occident visant à miner la crédibilité de la Russie», explique l'auteur du livre Let our fame be great: Journeys Among the Defiant People of the Caucasus, Oliver Bullough.

À l'approche de 2014, les militants circassiens sont cependant déterminés à multiplier les manifestations. Plusieurs membres de nosochi2014 se sont rendus à Vancouver, lors des Jeux d'été de 2010, afin de manifester. Ils tenteront d'ailleurs de réitérer l'expérience à Londres cet été.

Bien qu'il n'y ait pas de chiffres officiels, entre 500 000 et 1 million de Circassiens auraient été chassés de leur nation en 1864 et près de 400 000 auraient péri durant l'exode. Ils seraient environ 700 000 en Russie aujourd'hui, contre 3 millions à l'étranger, dispersés entre l'Europe, les États-Unis, la Turquie, la Syrie et la Jordanie. Il n'en resterait presque aucun à Sochi.

Révolution syrienne et retour au Caucase

Depuis le début de la révolution syrienne, des centaines de familles d'origine circassienne ont demandé à être rapatriées vers leur terre natale pour échapper aux combats. Bien qu'une centaine de personnes ait pu regagner le Caucase depuis l'année dernière, la Russie devra rapidement décider si elle accueillera davantage de réfugiés, malgré ses liens avec Damas et ses réserves quant aux minorités musulmanes du Caucase du Nord.