Jacques Attali est une éminence grise de la politique française. Conseiller de François Mitterrand, il est revenu sous les projecteurs avec Nicolas Sarkozy, qui l'a choisi en 2007 pour diriger une commission pour la libération de l'économie française, à laquelle l'actuel premier ministre italien, Mario Monti, a collaboré. Depuis, M. Attali a fait sien le nouveau mantra de la gauche: la croissance. La Presse a rencontré M. Attali, qui était invité par la Chambre de commerce française du Canada et le Centre financier international.

Q Vous avez découvert François Hollande. Jouerez-vous un rôle dans son gouvernement?

R Je ne le souhaite pas. J'ai dirigé sous le président Sarkozy une mission bipartisane sur la croissance, mais ce n'était pas une fonction à temps plein. J'ai rencontré François Hollande en 1980 quand il m'a demandé s'il pouvait jouer un rôle dans la campagne présidentielle de François Mitterrand. Quand Mitterrand a été élu, j'ai demandé à Hollande de travailler avec moi.

Q Vous venez de lancer avec Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, un appel à un plan européen de croissance. Que faut-il changer dans les mesures actuelles?

R Il ne peut y avoir d'unification économique sans unification politique. Des pays comme le vôtre en sont la preuve. Je pense qu'il faudra un État fédéral européen. En quelque sorte, l'Europe est un laboratoire pour le monde, parce que le monde a besoin de se fédérer pour faire respecter les règles de droit.

Q L'Allemagne acceptera-t-elle de payer pour votre plan de croissance?

R La performance économique de l'Allemagne est un mythe. Elle a un effondrement démographique, la même dette que la France et un système bancaire très mal en point. Son succès récent est dû aux bas salaires de la main-d'oeuvre importée de l'Est plutôt qu'à l'innovation. Et si l'Europe s'effondre, la première victime sera l'Allemagne. Cela devrait avoir raison du consensus sur l'austérité.

Q Que signifient les récents résultats électoraux en France, en Grèce, en Allemagne et en Espagne? Cette révolte contre l'austérité, que vous préconisiez vous-même en 2008 et 2010, mène-t-elle à la fin de la lutte contre les déficits?

R Les Européens veulent plus de croissance et moins d'austérité. Cela ne veut pas dire simplement gonfler la taille de l'État. C'est de se servir des capitaux publics comme levier pour les capitaux privés pour les infrastructures, la santé et l'éducation. Il y a de l'argent public paralysé dans différentes structures, qu'il faut utiliser. [...] Il faut de la justice sociale et il faut taxer les richesses transmises plutôt que le revenu et les entrepreneurs.

Q Qu'est-ce qui explique le cul-de-sac dans lequel semble se trouver la Grèce?

R Quand la Grèce est entrée dans l'Union européenne, on l'a poussée à développer ses achats militaires et elle est devenue le principal acheteur d'armes allemandes et françaises. On a inventé la menace turque pour ça. La Grèce a le plus haut budget militaire du monde, en fonction du PIB [NDLR: depuis 10 ans, la Grèce a consacré 100 milliards d'euros à son armée, l'équivalent du quart de sa dette]. On a aussi prêté à la Grèce pour qu'elle achète nos produits.

APRÈS MERKOZY, MERKOLLANDE?

Pendant la période de questions qui a suivi la conférence de M. Attali, hier à Montréal, l'ex-premier ministre Lucien Bouchard lui a demandé s'il pensait que M. Hollande et Mme Merkel travailleraient ensemble au fédéralisme européen.

«Depuis 1993, les dirigeants français et allemand ne sont pas très proches. Cela va changer, a-t-il prédit. François Hollande est profondément fédéraliste. Angela Merkel n'est pas spécialement pro-européenne, mais elle comprend peu à peu que l'Europe est la condition de la croissance allemande. Le départ de la Grèce de l'euro occasionnerait des pertes de 100 milliards d'euros (128 milliards de dollars) pour la seule Allemagne. Je pense qu'il y aura des discussions sur le fédéralisme dès cet été.»