En Europe, la crise économique se traduit par une montée de l'intolérance. Le marasme offre un terreau fertile pour les thèses de partis radicaux de droite qui dénoncent avec insistance l'immigration et les «diktats» de Bruxelles. C'est le cas notamment aux Pays-Bas, où le Parti de la liberté du controversé politicien Geert Wilders vient de faire chuter le gouvernement, explique notre journaliste Marc Thibodeau.

Les Néerlandais qui s'estiment lésés par la présence de travailleurs étrangers en provenance de pays d'Europe de l'Est peuvent, depuis quelques mois, laisser libre cours à leur colère en ligne.

Le Parti de la liberté (PVV) du controversé Geert Wilders, troisième formation politique en importance du pays, a lancé en février un site internet consacré aux «nuisances» prétendument produites par ces immigrants.

L'initiative a suscité une importante levée de boucliers. Dix pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale ont écrit conjointement à la Commission européenne pour lui demander de bloquer une initiative qui vise, selon eux, à faire de leurs ressortissants des «citoyens de seconde classe».

L'Union des communautés polonaises d'Europe a demandé pour sa part au premier ministre néerlandais, Mark Rutte, de condamner le PVV. Elle s'est dite «estomaquée» qu'un tel site puisse «voir le jour au XXIe siècle au sein de l'Europe».

Le politicien, qui avait besoin des voix du parti de Wilders pour se maintenir au pouvoir, a refusé de le condamner, en arguant qu'il ne s'agissait pas d'une initiative gouvernementale.

Une attitude inacceptable pour Roman Wien, jeune Polonais de 28 ans établi aux Pays-Bas depuis huit ans.

«Il ne voulait pas s'en prendre à un partenaire de coalition, mais comme premier ministre du pays, ce site n'est pas quelque chose qu'il peut ignorer», souligne M. Wien, un conseiller fiscal qui milite au sein d'une association vouée à la défense des travailleurs d'origine polonaise aux Pays-Bas.

Peu de vraies tensions

Pour fuir la crise économique, des dizaines de milliers de ses compatriotes sont venus s'établir dans le pays au cours des dernières années sans créer, dit-il, de heurts majeurs.

Les travailleurs venus de l'Est sont d'autant plus appréciés, selon lui, qu'ils occupent des emplois à bas salaire que les «Néerlandais ne veulent pas occuper».

«En Pologne, les prix sont très bas. Si un travailleur fait le salaire minimum ici, ça représente beaucoup d'argent là-bas», relate Irene van Gils, qui travaille dans une agence de placement du centre d'Amsterdam.

Le secteur de la construction est peut-être le seul où existent de vraies tensions en raison des prix compétitifs offerts par les entrepreneurs polonais, souligne M. Wien.

Sam, un charpentier qui travaille dans la rénovation de bâtiments historiques, s'agace du fait qu'ils «réduisent les prix». «Je demande 30 euros l'heure, alors qu'ils se contentent de 10 ou 15 euros. Ensuite, on nous appelle pour réparer les pots cassés parce que le travail est mal fait», souligne l'homme d'une quarantaine d'années, partisan de Geert Wilders.

Hassan Aarab, immigrant d'origine marocaine établi depuis près de 20 ans aux Pays-Bas, ne s'étonne pas outre mesure de l'initiative du PVV, qui s'est surtout fait connaître par le passé par ses sorties contre l'islam et l'immigration musulmane.

«Wilders, il cherche les problèmes. Il s'en prend aux musulmans, aux Polonais, à qui d'autre encore? Qu'il laisse les gens tranquilles», souligne l'homme de 38 ans.

Perdant ou gagnant, Wilders?

M. Wien pense que le site internet va jouer à l'encontre du controversé politicien, qui a retiré son appui en avril au gouvernement pour protester contre l'adoption projetée d'une nouvelle série de mesures d'austérité. Le politicien en a profité pour attaquer les «gros et gras eurocrates» installés à Bruxelles.

Les analystes politiques sont partagés sur ce qu'il adviendra de son parti aux élections législatives anticipées qui se tiendront en septembre prochain.

Le politologue André Krouwel pense que la formation populiste s'est marginalisée en faisant tomber le gouvernement, mais qu'il continuera à contribuer à la «polarisation» de la vie politique néerlandaise.

Les gestes posés contre les Polonais et les travailleurs venus d'Europe de l'Est ont permis à Geert Wilders d'attaquer à la fois l'immigration et l'Europe, mais ils ont été «contreproductifs» pour le parti puisqu'il n'existe pas de réelle tension à ce sujet dans la société néerlandaise, juge-t-il.

Bas Heinje, chroniqueur connu, doute que le PVV disparaisse de la scène, quoi que puissent espérer les partis traditionnels.

«Il dit maintenant qu'il faut quitter l'Union européenne. Ses électeurs savent que ça n'arrivera pas, mais ils aiment l'émotion qu'il y a derrière cette proposition», relève l'analyste, qui s'attend à ce que Geert Wilders radicalise encore plus son discours dans les mois à venir.

La haine fait tache d'huile

Le politicien néerlandais n'est pas le seul à vouloir tirer profit du sentiment de précarité généré par la crise. Un peu partout en Europe, des formations critiques de l'immigration et de la construction européenne s'enracinent et gagnent du terrain.

C'est le cas notamment en France, où le Front national a enregistré le score le plus élevé de son histoire à l'élection présidentielle, mais aussi en Grèce, où une petite formation d'inspiration néonazie a remporté plusieurs sièges.

Dans un rapport paru il y a quelques jours, le Conseil de l'Europe s'est alarmé du fait que la crise économique favorisait une recrudescence de la xénophobie et du racisme à l'échelle du continent.

L'organisation appelle en particulier les politiciens à «résister à la tentation de céder aux préjugés et aux peurs déplacées».

FRANCE

MARINE LE PEN

La chef du Front national a remporté 18% des voix au premier tour de l'élection présidentielle française tenu en avril. Elle a ainsi surpassé le score record qu'avait obtenu son père en 2002 pour parvenir au second tour du scrutin. La politicienne de 43 ans a réussi à séduire une part importante de l'électorat populaire en multipliant les sorties musclées contre l'immigration et l'islam tout en fustigeant l'influence de l'Union européenne. Elle espère obtenir plusieurs sièges à l'Assemblée nationale aux élections législatives prévues en juin.

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FINLANDE

TIMO SOINI

Le politicien de 49 ans a créé la surprise lors des élections législatives de 2011 en menant le parti des Vrais Finlandais à la troisième place du scrutin, avec 19% des voix, grâce à une campagne à tonalité nationaliste et eurosceptique. La formation a fustigé à plusieurs reprises les plans d'aide organisés à l'échelle européenne pour soutenir les pays les plus touchés par la crise. Issue du milieu rural, elle dénonce ce qu'elle appelle «l'immigration incontrôlée». Soini avait dû rabrouer l'année dernière un député qui s'était plaint publiquement de l'arrivée de «nègres» dans le pays.

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PAYS-BAS

GEERT WILDERS

Le politicien de 48 ans, facilement reconnaissable à sa chevelure oxydée, a fondé le Parti de la liberté en 2006. Il n'a cessé depuis de faire campagne contre l'islam, qu'il assimile à une «idéologie fasciste». Dans un film intitulé Fitna et diffusé en ligne en 2008, il compare le Coran à Mein Kampf d'Adolf Hitler. Accusé d'incitation à la haine raciale, il est acquitté au début de 2011. Son parti, qui a remporté 16% des voix lors des élections législatives de 2010, a soutenu pendant près de 18 mois un gouvernement de coalition avec les partis libéral et chrétien-démocrate néerlandais.

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ITALIE

UMBERTO BOSSI

Le Sénateur, comme il est connu dans les médias italiens, a réuni différents mouvements sécessionnistes du nord de l'Italie dans les années 80 pour former la Ligue du Nord. Le politicien de 70 ans s'est souvent illustré par de virulentes sorties xénophobes. Il a été ministre à quelques reprises dans des gouvernements chapeautés par Silvio Berlusconi, qui a dû démissionner en novembre 2011 sous la pression des marchés. Bossi, qui avait fait de la lutte contre la corruption l'une de ses priorités, est aujourd'hui aux prises avec un scandale de détournement de fonds au sein de son parti.

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GRÈCE

NIKOLAOS MICHALOLIAKOS

Le parti du politicien de 55 ans, Aube dorée, a remporté près de 7% des voix lors des élections législatives tenues le 6 mai. D'inspiration néonazie, sa formation n'hésite pas à utiliser des milices pour imposer ses vues par la violence, et excède ainsi le cadre démocratique dans lequel s'insèrent, malgré leur rhétorique musclée, la plupart des partis de droite radicale d'importance en Europe. Michaloliakos a notamment prévenu, après les élections, que «l'heure de la peur» avait sonné pour les «traîtres à la nation». Opposé aux mesures d'austérité exigées de la Grèce, il préconise la suppression de la dette et le renvoi des immigrants.

AUTRES PAYS AVEC DES DROITES FORTES

1/ BELGIQUE (Flandre) Vlaams Belang

2/ NORVÈGE Parti du progrès

3/ DANEMARK Parti du peuple danois

4/ SUÈDE Démocrates suédois

5/ AUTRICHE Parti autrichien de la liberté

6/ SUISSE Union démocratique du centre

7/ HONGRIE Jobbik

8/ BULGARIE Ataka

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