Six semaines après la tuerie dans une école juive de Toulouse, notre journaliste prend le pouls des cités où des jeunes se heurtent au mur de l'exclusion.

Mardi dernier, à Fennouillet, à une vingtaine de kilomètres de Toulouse, l'équipe du club de foot des Izards a remporté le tournoi régional de la ligue des débutants. Mais quand les gamins de 7 et 8 ans sont montés sur le podium, il y a eu un grand silence. Personne n'a applaudi dans les gradins.

Frédéric Mercadal, qui préside le club de foot des Izards, n'en revient pas: «Les petits étaient heureux d'être médaillés. Ils attendaient qu'on les félicite.»

Mais il ne s'est rien passé. Rien qu'un silence gêné et lourd de sens. Comme ça arrive souvent quand on évoque les Izards.

Ce quartier populaire, situé au nord de Toulouse, abrite surtout des familles d'origine maghrébine. C'est le prototype de ces cités françaises mal famées, qui s'enflamment épisodiquement.

Le quartier des Izards est aussi célèbre pour avoir vu grandir Mohamed Merah, ce jeune homme qui a assassiné trois enfants et un père de famille un jour de mars, dans une école juive de Toulouse.

Frédéric Mercadal a bien connu Mohamed Merah, il l'a même vu faire ses premiers pas au soccer. Le garçon était loin d'exceller dans ce sport, et ses mauvais bottés n'ont été que le début d'une longue série d'échecs.

Pour Frédéric Mercadal, issu lui aussi des Izards, l'accueil glacial qu'ont reçu ces petits joueurs de foot n'est qu'un exemple de l'exclusion dont souffrent les jeunes des cités. Certains s'en sortent. D'autres tombent dans la religion, ou la criminalité. Les plus fragiles peuvent déraper complètement. Comme Mohamed Merah.

Le besoin d'exister

Frédéric Mercadal décrit le tueur de Toulouse comme un garçon qui avait un immense besoin d'affection. Un garçon délaissé par son père, qui cherchait désespérément des pères de substitution. Qui avait un «immense besoin d'exister» et qui, pour y parvenir, changeait souvent de style et de peau. «Il était fantasque, original, moqueur, il pouvait blesser les gens. Il a vécu beaucoup de ruptures amicales et amoureuses.»

En 2006, après une explosion de violence dans les cités de Toulouse, Frédéric Mercadal avait amené Mohamed Merah, alors âgé de 16 ans, à une réunion à la mairie. À un moment, l'adolescent a levé la main pour demander qu'on établisse une régie de quartier - une sorte de comité de coordination et d'insertion - dans les Izards. Il a aussi exprimé le souhait d'y travailler. La régie des Izards n'a jamais vu le jour.

«Peut-être que si on lui avait mis le pied à l'étrier, rien de tout ça ne serait arrivé», dit l'instructeur de foot.

Mohamed Merah était particulièrement fragile, mais aux Izards, l'étrier social est difficile à atteindre pour des jeunes autrement plus solides.

Ils sont nés en France, mais ne se sentent pas tout à fait français. Quand ils retournent au pays de leurs parents, ils y sont reçus en étrangers. «Je ne suis chez moi nulle part», dit Abdelkader, étudiant en droit et videur de boîte de nuit, qui vit à Mirail, deuxième grande cité de Toulouse.

La mairie de Toulouse a récemment entrepris de désenclaver Mirail. De grands HLM ont été démantelés pour que le quartier soit moins coupé du reste de la ville. Mais ce n'était pas assez pour abattre les murs qui se dressent toujours dans la tête des gens.

«Les gens pensent que Mirail, c'est Gaza. Le code vestimentaire de ces jeunes fait peur. Mais ils ne demandent qu'une chose, c'est de travailler. Et tant qu'à être exclus, ils finissent par s'exclure eux-mêmes», dit Fatiah Adjelout, militante socialiste issue du quartier de Mirail.

Car il faut se lever de bonne heure pour trouver un boulot quand on vient de Mirail ou des Izards, où le taux de chômage des jeunes atteint les 40%.

Quand les employeurs voient le code postal 31100 ou 31200, ça les fait immédiatement sourciller. Le plus souvent, ils ne rappellent pas.

«Ce quartier est marqué au fer rouge», dit Florence Alary, directrice de la mission locale d'aide à l'emploi dans Mirail.

N'importe qui sauf Sarkozy

Nicolas Sarkozy ne s'est pas fait beaucoup d'amis à Mirail ou aux Izards, ni comme ministre ni comme président. Et ce n'est pas seulement à cause de ses déclarations sur la «racaille» qu'il faut «nettoyer au kärcher».

Son règne a vu disparaître deux institutions cruciales pour ces quartiers difficiles. Les policiers locaux appelés «îlotiers». Et les RASED, ou réseaux d'aide spécialisée pour les élèves en difficulté.

Les cités n'étaient pas les seules visées par ces mesures. Mais c'est là que celles-ci ont fait le plus mal. Ajoutez le discours contre les immigrants et les musulmans, et vous ne trouverez pas beaucoup d'amis du président dans les cités.

Un gamin de 8 ans, croisé dans l'ascenseur d'un HLM de Mirail, a résumé l'humeur électorale de son quartier en un saisissant raccourci: «Moi, je vote Hollande, je suis musulman...»