La tristement célèbre «allée des Snipers», encadrée d'immeubles sauvagement bombardés, est aujourd'hui un boulevard animé avec ses boutiques et gratte-ciel, mais Sarajevo porte toujours des blessures du siège imposé par les forces serbes tout au long du conflit intercommunautaire de 1992-95.

Vingt ans maintenant depuis le début de la guerre, l'hôtel Holiday Inn conserve sa notoriété pour avoir été le QG de la presse étrangère. Ici commençait l'«allée des Snipers» qui s'étalait sur environ trois kilomètres d'est en ouest. Depuis les hauteurs de la ville, des tireurs embusqués faisaient mouche sur toute âme osant s'y aventurer.

Défiguré par les obus, il a été parmi les premiers à être reconstruits conservant sa peinture extérieure jaune et marron, sujet depuis toujours de l'ironie des Sarajéviens.

«On dirait du jaune d'oeuf mélangé à du chocolat. Mais bon, c'est un emblème de notre ville et c'est bien qu'il ait été refait à l'identique», commente Émir Balic, avec le sens de l'autodérision typiquement bosnien.

Juste derrière, les «tours jumelles», et juste en face, l'immeuble du Parlement, éventrés par les obus, sont aujourd'hui flambant neufs.

À l'extrême ouest de la capitale, la tour qui abritait les locaux d'Oslobodjenie, journal emblématique durant le siège, avait été littéralement rasée. Reconstruite en verre et acier, elle incarne la volonté de renaissance de cette ville où plus de 10 000 personnes, dont des centaines d'enfants, ont été tuées.

Joyaux de la capitale, dévorée par les flammes et réduite à l'état de ruine par l'artillerie serbe une nuit d'août 1992, la bibliothèque nationale est à l'état de chantier depuis seize ans.

L'édifice construit en 1896 sous l'empire austro-hongrois sera restitué à son public «vers avril 2014», espère le maire de Sarajevo.

«Une bibliothèque, ça ne rapporte pas de l'argent. Le capitalisme s'investit uniquement là où il voit un profit», commente Damir Filipovic, jeune diplômé en sciences politiques, déçu de ce retard alors que des centres commerciaux modernes ont été fraîchement érigés.

Aujourd'hui, le visiteur ne peut pas se rendre à Sarajevo sans remarquer l'imposante mosquée dite «du roi Fahd», du nom du défunt monarque saoudien qui a financé sa construction après la fin du conflit, durant lequel son régime a soutenu les musulmans bosniens.

Si la plupart des édifices emblématiques ont été reconstruits, çà et là on voit encore des façades tellement criblées de balles qu'elles ressemblent à des visages mangés par la varicelle, témoignage de l'acharnement aveugle de l'assaillant.

Sur la rue piétonne Ferhadija, dans la vieille ville, les traces d'éclats d'obus sur le pavé ont été couvertes de cire rouge, à la mémoire des 26 tués en 1992 alors qu'ils faisaient la queue pour acheter du pain.

Les gens passent sans prêter attention, mais Ibro Gagula s'arrête un instant.

«Je pense qu'il faudrait diffuser quotidiennement les images tournées après le massacre. Pour nos jeunes. Si on oublie, je suis sûr que ça se reproduira», dit cet octogénaire.

Non loin, le petit marché Markale est animé et les vendeurs proposent fruits et légumes aux clients pressés. Il faut se frayer un chemin entre les étals et aller tout au fond, pour apercevoir un mur couleur de sang, sur lequel sont inscrits les noms des 67 victimes fauchées par deux obus le 5 février 1994.

À cent mètres de là, le peintre Davor Rehar, vend ses toiles à des touristes de passage. Il évoque d'une voix tremblante d'émotion comment il a retrouvé Igor, son fils âgé de 22 ans, parmi les victimes.

Slobodanka, la mère d'Igor n'a pas la force de parler de son fils. «Je n'ai jamais remis les pieds dans ce marché depuis sa mort», murmure-t-elle.