«Ils nous ont délibérément massacrés. Pourquoi tout ce sang a été versé? Ils doivent nous répondre»: les larmes aux yeux, Kitan Encu, qui a perdu onze parents dans le bombardement près de son village kurde par l'aviation turque, ne cache pas sa révolte.

Le raid aérien dans la nuit de mercredi à jeudi près du village d'Ortasu, proche de la frontière avec l'Irak, visait officiellement des rebelles séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) qui tentaient de s'infiltrer en Turquie.

Le bombardement a fait au total 35 morts et le parti au pouvoir à Ankara n'a pas exclu «une bavure de l'armée».

Selon les autorités locales, les victimes, des jeunes pour la plupart, faisaient de la contrebande de cigarettes entre l'Irak et la Turquie, pays voisins, avec des mules et des ânes.

«J'ai vu les corps pour les identifier. Ils étaient tous complètement brûlés, en morceaux», raconte Kitan Encu, au chevet de sa mère de 75 ans à l'hôpital de la ville d'Uludere, à 20 km de la frontière irakienne.

«Le plus vieux avait la vingtaine», dit cette jeune femme de 33 ans: «ils étaient tous étudiants».

Dans le sous-sol de l'hôpital, où les corps des victimes ont été amenés pour être autopsiés et identifiés, les familles se pressent, à la recherche de nouvelles, ou dans l'attente de récupérer la dépouille d'un des leurs.

«Je suis le père d'un martyr. Mehmet Ali Tosun était son nom. Il avait 23 ans», dit un homme de 50 ans, qui refuse de décliner son identité: «il était au chômage. Comme on est pauvres, on fait du commerce», ajoute-t-il, en référence à la contrebande de cigarettes, de gaz, ou de sucre entre la Turquie et l'Irak.

«Ici, la vie vaut 60 livres»

«Ici, la vie vaut 60 livres» turques, soit le salaire d'une très bonne journée de trafic, explique un jeune contrebandier de 19 ans, originaire du village voisin de Yemisli. Il a participé aux recherches des cadavres et, selon lui, les victimes «ont été tuées volontairement».

Un autre jeune contrebandier de Yemisli assure qu'il faisait partie du groupe qui a traversé la frontière irakienne mercredi soir avec principalement du gaz et des cigarettes.

«On a commencé à rebrousser chemin, on a marché ensemble environ 10 km, après on a pris la direction de notre village et eux celle» d'Ortasu.

«Plus tard, les soldats ont téléphoné au chef du village et lui ont dit que tous les contrebandiers étaient morts. Ils lui ont dit de venir et de prendre les cadavres. Comment pouvaient-ils savoir que les morts étaient des contrebandiers s'il s'agit d'une erreur», s'interroge le jeune homme, qui souhaite garder l'anonymat.

L'armée turque, qui bombarde régulièrement les repaires du PKK dans le Kurdistan irakien, fait face depuis l'été à une flambée de violence des rebelles qui utilisent leurs bases arrières en Irak pour lancer des attaques contre des objectifs en territoire turc, près de la frontière.

Le PKK, considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays, a pris les armes en 1984 et le conflit a fait au moins 45 000 morts.