Les manifestations continuent en Russie à la suite des élections parlementaires de dimanche. Les arrestations aussi. Hier, on en dénombrait au moins 250. Mais l'opposition, pour le moment, ne plie pas l'échine. Derrière les barreaux, Boris Nemtsov, un des porte-étendards de la fronde anti-Vladimir Poutine a appelé hier les Russes à manifester samedi place de la Révolution, à un jet de pierre du Kremlin. Lors d'un récent séjour en Russie, notre journaliste l'a rencontré.

Boris Nemtsov espère célébrer le Nouvel An «normalement» cette année. L'an dernier, le 31 décembre, aux 12 coups de minuit, il croupissait entre quatre murs sans fenêtre, dans une cellule glaciale de deux mètres carrés. L'ancien vice-premier ministre de la Russie s'est pincé pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.

Ancienne rock star politique des années 90 que plusieurs voyaient remplacer Boris Eltsine à la présidence de la Russie, à la fin des années 90, Boris Nemtsov est aujourd'hui un dissident politique. Et dans la Russie de Vladimir Poutine, ce n'est pas un rôle particulièrement glamour.

L'an dernier, il a passé deux semaines en prison dans des conditions «médiévales» pour avoir pris part à une manifestation politique. Cette semaine, il a été arrêté de nouveau, pour avoir pris part à un autre rassemblement, dénonçant cette fois des fraudes lors des élections législatives de dimanche.

«C'est difficile d'être dans l'opposition dans un pays démocratique comme le Canada, alors, imaginez ce que c'est en Russie, un pays autoritaire. Ça vient avec des risques», disait le mois dernier à La Presse le grand gaillard, assis dans son bureau de Moscou.

L'étoile ternie

On est ici loin du faste de son ancien bureau de vice-premier ministre. Boris Nemtsov était alors suivi par des gardes du corps et un entourage qui buvait ses paroles. Impossible, ou presque, d'obtenir une entrevue avec lui. Aujourd'hui, son quartier général est un appartement tout simple, dans un édifice sans visage. Ses voisins de palier sont des familles de classe moyenne.

Le parti politique qu'il dirige, Parnas, ou Parti de la liberté du peuple, connaît un sort tout aussi modeste. Malgré maints efforts déployés, Boris Nemtsov et ses compagnons politiques n'ont pas réussi à enregistrer leur organisation pour les élections parlementaires. La cour a rejeté leur demande pour un détail technique.

Boris Nemtsov veut crier à la Russie tout entière sa frustration, mais difficile de faire entendre sa voix. «Mes collègues de l'opposition et moi sommes sur la liste noire de la télé. Nous vivons dans un pays où il n'y a plus d'élections du tout. Où tout est joué d'avance. Où la fraude est la règle», laisse tomber celui qui a récemment publié un imposant rapport sur la corruption au sein du gouvernement actuel.

Le politicien de 52 ans ne baisse pas les bras pour autant. La politique, il a ça dans le sang. Il n'avait que 31 ans la première fois qu'il a été élu député. Et 32, lorsqu'en 1991, il est monté sur un char d'assaut aux côtés de Boris Eltsine - alors président russe - pour faire face à un groupe de putschistes.

Les premières années de la Russie postsoviétique ont été ses années de gloire. Nommé gouverneur en 1991 de la cinquième plus grande ville de Russie, Nijni-Novgorod, il est devenu vice-premier ministre en 1997. Les sondages lui accordaient alors 50% des voix lors d'une éventuelle élection présidentielle.

Mais en 1998, au cours d'une crise économique qui a secoué la Russie, le rouble s'est effondré. La popularité de Boris Nemtsov aussi. L'ascension de son rival, Vladimir Poutine, ne faisait que commencer.

Timide opposition

Depuis, avec l'ancien champion d'échec Garry Kasparov, Boris Nemtsov est un des piliers de l'opposition de droite - lire libérale - au régime Poutine. Il a participé à la fondation de divers mouvements et partis politiques ayant tous un but commun: le départ de l'homme fort du Kremlin, en voie de redevenir président en mars 2012.

Les supporters de ce mouvement ombrelle ont l'habitude de se faire arrêter dès qu'ils sortent dans la rue pour manifester, mais jamais on n'avait vu une rafle aussi imposante que depuis le début de la semaine. Au moins 1000 personnes ont été appréhendées depuis lundi. Et la gronde continue. «Les manifestations, c'est une stratégie importante pour faire connaître notre opposition à ce régime, mais ce n'est pas assez pour venir à bout de Poutine», convient Boris Nemtsov.

Il croit que le jour viendra où les Russes en auront assez des nouveaux tsars et cesseront d'accorder leur confiance aveugle aux troupes poutiniennes. Et qu'ils descendront dans la rue en masse pour le faire savoir. Ce jour-là, dit-il, il sera prêt à chausser les souliers présidentiels dont il rêve depuis si longtemps.