Un chevalier de plâtre en armure garde la porte de bois lourd. Sur les murs du couloir, un décor de château médiéval a été peint à la main. Le tout a l'air de l'entrée d'un manège de Walt Disney consacré à La belle et la bête.

Pas d'un appartement de luxe campé au centre de Moscou.

La porte s'ouvre et ce qui se trouve derrière est cent fois plus extravagant. Les murs sont couverts de dorure, de miroirs médiévaux, de boiseries des XVIe et XVIIIe siècles.

Dans le salon d'hiver - une immense pièce vitrée avec une vue imprenable sur la capitale russe -, une gargouille régurgite un long filet d'eau.

Dans la chambre à coucher attenante, un immense lit est couvert d'une fourrure tout aussi gigantesque. «C'est la chambre de Sophia Loren», lance, sérieux, Nikas Safronov en faisant visiter la pièce - parmi une trentaine - de son gargantuesque appartement.

«Je rêvais d'avoir une île déserte et un château quand j'étais petit. Je n'ai pas encore d'île qui m'appartienne, mais  j'ai un château en Écosse et celui-ci à Moscou», dit le Moscovite de 55 ans.

La modestie n'est pas dans le vocabulaire de Nikas Safronov. Le peintre russe, qui rappelle d'entrée de jeu à ses interlocuteurs qu'il a été nommé le peintre le plus célèbre de son pays par un magazine, est l'incarnation même de la «Nouvelle Russie». Cette classe sociale de nouveaux riches, apparue après la chute du communisme, a imposé sa loi et ses goûts dans la Russie des années 90.

Ce n'est pas en mettant la main sur les ressources naturelles du pays, comme de nombreux oligarques, que Nikas Safronov s'est enrichi, mais en devenant le portraitiste de cette nouvelle élite, bourrée aux as. «Je vends aussi beaucoup de mes toiles à l'étranger», précise-t-il. Il a peint autant Vladimir Poutine qu'Elton John. Sting que l'ancien dictateur azerbaïdjanais Gueïdar Aliev. Les murs de son bureau sont couverts de photos du peintre avec les riches et célèbres de Russie et d'ailleurs.

Même si la Nouvelle Russie lui a manifestement été profitable - un appartement comme le sien vaut plusieurs millions dans la ville réputée la plus chère du monde -, Nikas Safronov évoque avec nostalgie la période soviétique qui l'a vu grandir.

Fils d'un militaire exilé pendant la période stalinienne, né à Oulianov, ville natale de Lénine, Nikas Safronov a flirté avec l'idée de s'enrôler dans la marine de l'Armée rouge avant de faire des études en art. «À l'époque, les gens ne pensaient pas seulement à l'argent. Il y avait plus d'égalité dans les rapports, plus de vérité, de naïveté», dit-il, penseur.

C'est pendant la perestroïka et la glasnost des années 80 que le peintre a bâti sa renommée et sa réputation de Casanova russe, devenant du coup une vedette des médias nouvellement libéralisés. Cette célébrité, qui a monté d'un cran après l'effondrement de l'Union soviétique et l'ascension triomphale de la Nouvelle Russie, il l'alimente quotidiennement en accordant des entrevues à la chaîne et en se pointant à au moins deux événements mondains tous les soirs. Il joue encore au Casanova et n'hésite jamais à offrir à ses interlocutrices (montréalaises, notamment) d'être le père de leurs enfants...

«Avant, j'étais absolument partout. Maintenant, je choisis davantage. Je ne suis plus le Paris Hilton de Moscou», dit-il, admettant avoir été doublé par plus jeune et plus clinquant que lui.

Il avoue aussi ne plus régner sur la scène artistique comme dans les années 90. Le milieu des arts contemporains en Russie est en pleine ébullition. Pour la nouvelle génération, Nikas Safronov est le roi du kitsch. «Ils se disent artistes, mais font n'importe quoi! dénonce le quinquagénaire. L'appréciation pour les arts classiques se perd.» Tout comme l'attrait de la Russie bling-bling dont Nikas Safronov a longtemps été le prince.

La petite histoire

Invitée au Festival des films de Moscou en juin 2001, j'ai rencontré Nikas Safronov lors d'une fête organisée en l'honneur de l'acteur Jack Nicholson. Une actrice russe, amie du peintre, est venue chanter ses louanges avant que M. Safronov ne se présente lui-même. Sa première phrase? «Je suis le peintre le plus célèbre de Russie et j'aimerais vous épouser.»