Le dernier joker de Silvio Berlusconi pourrait bien faire long feu. L'opposition et des pans importants de sa coalition sont en train de conclure une entente sur un gouvernement centriste d'unité nationale, alors que les partisans du premier ministre italien déplorent qu'il soit devenu le «bouc émissaire» des «bonzes des marchés».

Q Pourquoi Silvio Berlusconi a-t-il annoncé sa démission?

R «Il espérait peut-être que les marchés se ressaisissent après l'annonce et qu'il puisse jouer un rôle similaire à celui du premier ministre grec Papandréou, qui est vu comme le garant de la stabilité et a pu organiser lui-même le gouvernement d'unité nationale qui remplaçait le sien», explique Franco Pavoncello, politologue à l'Université John Cabot à Rome. «Mais visiblement, ça n'a pas marché. Tout pouvoir qu'il avait a disparu hier, quand le coût des emprunts de l'Italie a continué d'augmenter.» Manlio Graziano, historien turinois qui enseigne à la Sorbonne et qui vient de publier en anglais The Failure of Italian Nationhood, ajoute que seule une intervention externe - les marchés financiers - pouvait avoir raison de Silvio Berlusconi. «Il représente l'Italie du bien-être et de la consommation, qui vit à crédit depuis les années 80, dit M. Graziano. Comme la majorité des Italiens, c'est un éternel optimiste sur le plan financier. Il l'a bien dit à Cannes lors du sommet du G20: les hôtels et les restaurants sont pleins, alors pourquoi s'en faire?»

Q Les réformes exigées par la Commission européenne et le Fond monétaire international vont-elles être approuvées par le Parlement italien?

R Les médias italiens ont fait grand cas de 39 «questions» posées mardi par la Commission européenne (CE) au ministère italien du Trésor. La CE remettait en question plusieurs portions du plan italien de retour au déficit zéro pour 2013. La visite de trois équipes d'inspecteurs - de la CE, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international - rend le grand ménage inévitable, souligne M. Pavoncello. «Il y a des précédents dans les années 90 de gouvernements «techniques» qui prennent les décisions difficiles à la place des politiciens élus, dit M. Pavoncello. Tout le monde s'entend sur les lacunes présentes, il n'y a pas de double comptabilité comme en Grèce.» L'Italie a la troisième dette en importance au monde, derrière le Japon et les États-Unis.

Q Y aura-t-il des élections anticipées?

R Hier, Silvio Berlusconi a déclaré qu'il ne voyait pas d'autre solution et avançait comme date le début de février. Mais l'un après l'autre, les partis politiques ont fait savoir aux médias italiens leur aversion pour des élections que personne ne se sent en mesure de remporter. «La gauche est exsangue après plus d'une décennie de division, dit M. Pavoncello. Le populisme de droite de la Ligue italienne n'a pas nécessairement la faveur. Le Peuple de la liberté de M. Berlusconi va se scinder en plusieurs factions. Tout le monde veut attendre de voir comment tout cela va se recomposer.»

Q Qui gouvernera l'Italie après Berlusconi?

R Hier en soirée, le président italien, Giorgio Napolitano, a nommé sénateur à vie un économiste réputé, Mario Monti. M. Monti, qui a été haut fonctionnaire pendant 10 ans à la Commission européenne dans les années 90, a déclaré à deux reprises depuis le printemps aux médias italiens qu'il accepterait de présider un «gouvernement technique» advenant une démission de M. Berlusconi. «C'est un choix sûr pour calmer les marchés, dit M. Pavoncello. Monti est très respecté. Il se situe dans la tradition italienne des grands serviteurs de l'État.» Silvio Berlusconi a dit à plusieurs reprises qu'il souhaitait que son dauphin, Angelino Alfano, Sicilien aux réseaux politiques bien établis, lui succède. Mais les grands partis ont tous écarté cette possibilité.

Q Que sera le paysage politique italien sans Berlusconi?

R L'héritage de la croissance factice de la consommation, financée par la dette publique, sera difficile à liquider, selon M. Graziano. «Les Italiens tiennent à leur confort et sont allergiques à tout sacrifice collectif. Je crains qu'on n'ait des copies de Berlusconi. Et la copie est toujours pire que l'original. Et si on a des copies de gauche, ça sera encore pire, parce que la gauche doit être plus dure quant à la sécurité publique pour montrer qu'elle est sérieuse dans ce domaine.» Giuliano Ferrara, le directeur du quotidien romain Il Foglio, proche de Berlusconi, a quant à lui expliqué hier que les «bonzes du marché» n'arriveraient pas à s'attaquer réellement à la dette issue du socialisme des années 70 et 80.

>>> À voir: le Cavaliere en images