Ilich Ramirez Sanchez, alias «Carlos», s'est présenté mercredi après-midi devant la cour d'assises spéciale de Paris comme un combattant au «sang-froid irréprochable», tout en refusant d'assumer la responsabilité d'une quelconque opération révolutionnaire dans les années 1970 et 1980.

Carlos, 62 ans, est accusé d'avoir organisé quatre attentats qui en 1982 et 1983 ont fait 11 morts et près de 150 blessés.

«Moi, je suis un tireur d'élite», s'est vanté le révolutionnaire. «Je suis émotionnel, mais dans les combats, je suis d'un sang-froid inimaginable. C'est ma nature.»

En 1971, alors que Carlos a regagné Londres après avoir participé à des combats en Jordanie, le responsable des opérations externes du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Wadi Haddad, l'a désigné «responsable des Îles britanniques et de l'Irlande», a-t-il raconté.

«Mais on n'a rien fait, on n'avait pas les moyens», a-t-il poursuivi, évoquant notamment une idée d'attentat, finalement avortée, en 1971 contre le premier ministre jordanien de l'époque.

En pleine contradiction, le défenseur de la cause palestinienne reconnaît pourtant quelques minutes plus tard avoir alors «commencé à flinguer».

Celui qui avait dans l'organisation «un grade de commandant» dit avoir mené «une centaine» d'opérations entre 1971 et 1976, date à laquelle il «démissionne» du FPLP.

Interrogé à plusieurs reprises par le président Olivier Leurent sur la nature de ces opérations, il se refuse pourtant à répondre.

Orphelin dans son combat, Carlos décide à l'été 1976 de créer avec cinq autres personnes «l'Organisation des révolutionnaires internationalistes» (ORI).

Ses objectifs fondateurs étaient «très ambitieux», a rappelé le président Olivier Leurent en lisant un interrogatoire de Carlos devant le juge d'instruction: le militant déclarait alors que l'ORI avait pour but de «mobiliser les révolutionnaires à une échelle mondiale pour la libération de la Palestine et contre les forces impérialistes, sionistes, où qu'elles se trouvent».

À partir de ce moment-là, Ilich Ramirez Sanchez a multiplié les voyages, autant que les identités. Il a reconnu mercredi avoir utilisé «une centaine» de faux passeports pour mener à bien ses activités.

«On n'était pas une organisation de masse», affirme Carlos, évaluant les membres à «un millier, un peu plus, je ne sais pas».

«Il n'y a jamais eu aucune opération revendiquée par l'ORI», s'étonne alors le président. «C'est un peu étrange, non?»

Le sourire goguenard, le Vénézuélien lui révèle alors «un secret» sur les  activités des membres de l'organisation: «au café de la Sorbonne, on se réunissait pour discuter et on fumait le haschich...»

Toute la journée, la président Leurent a bataillé calmement, mais fermement, afin de tenter d'obtenir des réponses à ses questions. «J'en reviens à ma question, M. Ramirez Sanchez». Une fois, deux fois, trois fois... le président Leurent doit constamment le recentrer.

«Mais, je vais vous expliquer M. le président». Dans le box, l'entrée en matière est toujours la même, mais la réponse emprunte de si nombreux méandres qu'elle aboutit rarement.

Fait marquant de la matinée, Carlos a, pour la première fois de son procès, abandonné son air fanfaron et sangloté quelques minutes en évoquant ses «camarades» morts pour la cause en Jordanie lors des combats de 1970-71.

«La plupart de mes camarades sont morts et je suis en partie coupable», a murmuré le révolutionnaire, la voix soudain brisée. «Tous ces gens sont morts, tués comme des chiens», «il y avait des civils» et «mes camarades sacrifiés pour la cause».

L'examen de la personnalité de Carlos se poursuivait dans la soirée. La cour se penchera jeudi sur l'attentat du train Paris-Toulouse qui le 29 mars 1982 a fait 5 morts et 28 blessés.

La femme de Carlos et les «années de terreur»

«Il séduit et manipule à merveille» raconte l'Allemande Magdalena Kopp au sujet de Carlos, son époux, comme pour tenter d'expliquer les «années de terreur» passées auprès du «Chacal» entre 1979 et 1992.

Après avoir publié un livre en 2007 sur sa vie aux côtés de celui qui était alors l'un des hommes les plus recherchés de la planète, elle s'occupe bénévolement à 63 ans de personnes âgées en Allemagne et fait de la photographie. Elle refuse de rencontrer les journalistes.

Leur fille Rosa, 25 ans, étudiante en architecture en Allemagne, a revu récemment son père en prison pour la première fois depuis leur séparation quand elle avait cinq ans. Un long-métrage sur leur passé devrait sortir au deuxième semestre de l'an prochain, selon une source bien informée.

«J'ose espérer que mon histoire empêchera d'autres personnes de sombrer dans le terrorisme», déclarait Magdalena Kopp dans la préface de son ouvrage: Les années de terreur, paru en allemand et aujourd'hui épuisé.

Elle est à proprement parler l'unique épouse de Carlos, leur mariage ayant été enregistré sur le plan civil en 1991 au Liban.

Le Vénézuélien, converti à l'islam, a par ailleurs scellé des unions religieuses avec deux autres femmes, son avocate française Isabelle Coutant-Peyre et la Jordanienne Lana Jarrar.

«Je ne comprends pas aujourd'hui comment j'ai pu succomber à un tel macho. À l'époque, il persuadait les filles qu'elles étaient la seconde moitié de la révolution», disait Mme Kopp, il y a quatre ans.

À propos des quatre attentats qui ont fait onze morts et plus d'une centaine de blessés en France il y a près de trente ans et pour lesquels Carlos est jugé actuellement, Mme Kopp a écrit dans son livre s'être «sentie coupable», car son emprisonnement en avait été la cause.

Selon l'accusation, Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été le chef d'orchestre de ces attentats pour obtenir la libération de sa compagne et du Suisse Bruno Bréguet, ce qu'il nie.

«J'étais la femme de Carlos, sa propriété, et il en allait de son honneur de me libérer», estimait Mme Kopp, dans son ouvrage.

«Il n'acceptait pas que quelqu'un d'autre que lui puisse décider de ce qui arrivait à ses soldats. C'est pour cela qu'il se comportait comme s'il se trouvait en guerre contre la France -une guerre qu'il voulait gagner à tout prix».

Selon elle, il ne lui a jamais envoyé de lettre pendant les trois années de prison qu'elle purgeait en France pour détention d'armes et d'explosifs.

«Parfois, je me demandais pourquoi il ne prenait pas contact avec moi. Plus tard, Carlos m'a dit qu'il ne se faisait pas de souci pour moi: j'avais assez à manger et un lit pour dormir», écrit-elle.

Enrôlée dans le groupe de Carlos, l'ancienne pasionaria affirme n'avoir «jamais eu à menacer quelqu'un avec une arme». Se disant totalement sous l'emprise du Chacal, elle avait été «prête à rouler dans une voiture pleine d'explosifs» à Paris, ce qui avait conduit à son arrestation.

«Carlos ne supportait aucune contradiction. Il balayait tous les doutes de côté et exerçait un pouvoir sur les gens qui gravitaient autour de lui pour obtenir tout ce qu'il voulait. Naturellement, cela n'excuse rien», explique-t-elle.

À sa sortie de prison, en 1985, elle le rejoint en Syrie. Elle l'épousera en 1991. Elle affirme ne pas avoir vu d'autre issue. «Mais je ne faisais pas de terrorisme. J'ai eu un enfant et je me suis retirée», raconte-t-elle.

Le couple se sépare en 1992. Mme Kopp part vivre sous la protection de la famille de son mari au Venezuela, avant de rejoindre librement l'Allemagne dans sa ville natale de Neu-Ulm (sud-ouest) en décembre 1995.

Le 18 octobre dernier, dans une interview accordée à Europe 1, Carlos a confessé un «regret»: «j'ai sacrifié la vie de famille, je n'ai pas pu élever mes enfants, (...) j'étais un mari absent la plupart du temps».