Ils sont jeunes. Ils sont bardés de diplômes. Et ils ne voient aucun avenir pour eux dans leur pays. Alors, ils cherchent du boulot ailleurs. Au Brésil, au Mozambique, en Angola. La crise économique cause une fuite de cerveaux sans précédent au Portugal.

Maria Santos est danseuse à la Compagnie nationale de ballet du Portugal. Il y a une dizaine de jours, ses patrons ont convoqué tous leurs employés: danseurs, scénographes, techniciens. Les nouvelles n'étaient pas bonnes.

La compagnie n'arrive plus à joindre les deux bouts. Elle n'a doit réduire les salaires de 30%. Ou de suspendre répétitions et représentations pour un montant équivalent.

«Ils ne nous ont rien expliqué, ils ont lancé leur bombe et ils sont partis», raconte la jeune femme qui s'inquiète pour l'avenir de la danse dans son pays. «Il ne reste plus qu'une seule grande compagnie de ballet au Portugal, ils ne vont quand même pas la fermer!» Alors, Maria envisage de passer des auditions à l'étranger et de danser sur d'autres scènes.

L'exode

Elle n'est pas la seule. Au Portugal, 1 diplômé sur 10 quitte le pays, créant une fuite de cerveaux sans précédent. Prenez Nicolau, le frère de Maria, qui est en train de terminer une maîtrise en électrotechnique. Il ne manque pas de possibilités de travail dans son domaine. Malgré cela, il voit son avenir bloqué au Portugal.

«Mon salaire serait gelé pour au moins 10 ans. Je ne pourrais jamais mener le même rythme de vie que mes parents», dit l'étudiant de 25 ans. Lui aussi veut aller ailleurs, peut-être au Brésil.

Le père de Maria et de Nicolau, qui s'appelle également Nicolau, ne fait pas que subir les effets de la crise qui s'abat sur son pays. Chaque semaine, il écrit sur ce sujet dans l'influent hebdomadaire Expresso.

Cet économiste ne voit pas beaucoup d'espoir à l'horizon. Il résume la situation en une phrase: «Tout ce qui peut aller mal va mal.»

Déroute financière

En déroute financière, le Portugal fait partie, avec l'Irlande et la Grèce, des trois pays rescapés par l'Union européenne. La coalition au pouvoir depuis juin a accéléré les mesures d'austérité. Tout passe à la tronçonneuse: salaires, conditions de travail, éducation, services médicaux.

Les employés de la fonction publique ont vu leurs salaires fondre de 10%. Ce à quoi s'ajoutera la disparition des traditionnels 13e et 14e mois de salaire. Au total, ils perdent près du quart de leurs revenus. Parallèlement, le gouvernement détricote le filet social et privatise massivement: transports, eau, télévision publique.

Rien à envier à Thatcher

Ce gouvernement sociodémocrate qui n'aurait rien à envier à Margaret Thatcher n'est pas seulement en train d'assainir les finances publiques, dit Nicolau Santos, père. «Il est carrément en train de changer la société.»

«Ils pensent que les mesures d'austérité relanceront l'économie, mais nous risquons plutôt de tomber dans une spirale de récession. La consommation va chuter. Ça va être très très très très dur!»

Nicolau Santos n'imagine pas par quel miracle l'économie portugaise pourrait redémarrer sous un tel rouleau compresseur. Il voit son pays, qui était parmi les plus pauvres en Europe il y a quelques décennies, retourner à la case départ. Devant cette sombre perspective, c'est lui-même qui encourage son fils et sa fille à aller voir ailleurs. «Aujourd'hui, tous les parents disent à leurs enfants: Partez! «

Taux de chômage

À 23%, le taux de chômage des jeunes Portugais est parmi les plus élevés en Occident. Paradoxalement, la génération des Portugais de 20 à 30 ans est bien plus instruite que celle de leurs parents. Mais leur pays n'a rien à leur offrir. Alors ils le quittent pour les pays de l'ancien empire portugais: Brésil, Mozambique, Angola.

Un jeune journaliste portugais m'a confié avoir pris sa décision de partir la semaine dernière, le jour même où une de ses collègues s'est fait licensier. Il a compris qu'il était lui aussi assis sur un siège éjectable. Sa destination: le Brésil.

Selon les démographes, il s'agit de la plus grande vague d'émigration depuis les années 60. De plus en plus d'observateurs parlent carrément d'une génération perdue.