L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a produit au début de l'année un rapport étoffé sur le scandale du Mediator, souligne sans ambiguïté que le retrait du produit «aurait dû être décidé dès 1999».

Les Laboratoires Servier, relèvent les auteurs du rapport, ont réussi par leurs interventions «sans relâche» à «anesthésier» les acteurs chargés de veiller à la sécurité des médicaments, voire même «à les rouler dans la farine».

Ni l'enregistrement d'un cas français problématique à la fin des années 90, ni l'annonce quelques années plus tard du retrait du produit en Italie et en Espagne n'ont réussi à convaincre la France d'interdire sa commercialisation avant 2009.

De manière générale, les autorités se sont comportées comme si le «principe de précaution» visait à défendre le droit des firmes pharmaceutiques à commercialiser leurs produits plutôt que le bien-être de la population, relève l'IGAS.

Conflits d'intérêts

Le rédacteur en chef de la revue Prescrire, Bruno Toussaint, qui a souvent critiqué le Mediator au fil des ans, estime que l'affaire met en relief plusieurs problèmes structurels importants dans la manière dont les médicaments sont évalués en France.

D'abord, dit-il, c'est la firme désireuse de commercialiser un produit qui se charge des études requises pour procéder à l'évaluation des risques, ce qui lui donne la possibilité «de présenter les données à sa façon». «La recherche publique en matière d'évaluation de médicaments est devenue à peu près inexistante».

Souvent, les experts recrutés par l'AFSSAPS pour statuer sur la commercialisation des médicaments ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. Les conflits d'intérêts, qui devraient se traduire par leur retrait du processus décisionnel, ne sont pas toujours pris en compte.

L'agence elle-même, qui est largement financée par les redevances payées par les sociétés pharmaceutiques, ne dispose que de quelques experts maison rapidement surchargés de travail.

La pneumologue Irène Frachon, qui a joué un rôle-clé dans l'éclatement du scandale, pense que l'absence de financement public en matière d'évaluation de médicaments et la place conséquente laissée aux firmes pharmaceutiques ont joué un rôle déterminant dans l'affaire.

«Il faut que disparaisse cette idée voulant que le libéralisme débridé soit capable de s'autoréguler. C'est une catastrophe», souligne-t-elle.