L'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine a été inculpé mercredi à Paris dans le volet financier de l'affaire Karachi, une enquête mêlant un attentat au Pakistan à des soupçons de corruption en France et qui pourrait atteindre Nicolas Sarkozy.

Entendu pendant près de six heures par le juge, Ziad Takieddine a été inculpé pour «complicité et recel d'abus de biens sociaux», dans le cadre de deux contrats d'armement avec le Pakistan et l'Arabie Saoudite, a-t-on appris de source judiciaire.

Il a été placé sous contrôle judiciaire avec notamment l'interdiction de quitter le territoire et de rencontrer les protagonistes du dossier, a déclaré l'un de ses avocats, Me Ludovic Landivaux.

«On est totalement satisfait aujourd'hui d'avoir finalement pu avoir accès à un dossier qui depuis un an et demi traîne sans qu'on puisse y avoir accès», a réagi à sa sortie du bureau du juge Ziad Takieddine qui dit faire «confiance à la justice».

La justice française s'intéresse à un circuit de corruption présumé ayant accompagné la vente de sous-marins au Pakistan et de frégates à l'Arabie Saoudite en 1994.

À des commissions versées à des décideurs, légales à cette époque, se seraient ajoutées des «rétrocommissions» par lesquelles une partie des sommes revenait illégalement en France au profit de responsables politiques français.

Mais l'affaire Karachi ne se limite pas à un soupçon de corruption.

Sur l'insistance des familles de victimes, la justice cherche aussi à établir s'il y a un lien entre ce circuit de corruption et un attentat à Karachi en 2002 qui a coûté la vie à 15 personnes, dont 11 Français, travaillant à la fabrication des sous-marins.

«Secret défense»

Il pourrait s'agir de «représailles pakistanaises» à la suite de l'arrêt du versement des commissions par la France sur ce contrat. Après s'être focalisée sur la piste Al-Qaïda, la justice qui peine à obtenir de nombreux documents classés «secret défense», s'intéresse désormais de près à cette thèse.

Selon l'avocat des familles de victimes de l'attentat de Karachi, Me Olivier Morice, l'inculpation de Ziad Takieddine est un «tournant» dans l'enquête qui pourrait déboucher sur la mise en cause de politiques.

Les juges cherchent à savoir si des rétrocommissions sur les contrats d'armement ont pu alimenter la campagne présidentielle du premier ministre de droite, Édouard Balladur, en 1995.

L'homme d'affaires franco-libanais est présenté par plusieurs témoins cités au dossier comme un intermédiaire imposé par le cabinet de l'ancien ministre de la Défense François Léotard, proche d'Édouard Balladur, peu de temps avant la conclusion au Pakistan du contrat de vente de sous-marins.

Selon ces témoins, il aurait obtenu des commissions à hauteur de 4% du montant du contrat.

M. Takieddine dément être intervenu dans le contrat pakistanais, mais reconnaît avoir joué un rôle dans le contrat avec Ryad.

De nouvelles informations sur le rôle supposé de M. Takieddine dans le financement politique ont récemment émergé.

Selon le site d'informations Mediapart, un témoin entendu le 8 septembre par la police a affirmé que M. Takieddine s'était rendu à plusieurs reprises dans le milieu des années 1990 en Suisse pour y retirer des fonds remis à Paris à Nicolas Bazire, qui fut directeur de la campagne d'Édouard Balladur en 1995.

«Je suis absolument certain que nous allons avoir dans les prochaines semaines des révélations déterminantes sur la mise en cause, dans le cadre du financement de la campagne d'Édouard Balladur, d'un certain nombre d'hommes politiques français qui vont devoir rendre des comptes», a réagi l'avocat des familles, Me Morice.

Me Morice met également en cause l'actuel président français Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre d'Édouard Balladur et son porte-parole de campagne, qui, assure-t-il, a «validé le système mis en place pour permettre cette corruption».