La dame de fer de la politique russe, Valentina Matvienko, deviendra bientôt la troisième figure en importance au pays. Sur papier, du moins. Pour y parvenir, elle aura eu besoin d'un sérieux coup de pouce du régime russe, qui a orchestré un vaste subterfuge électoral, raconte notre collaborateur.

C'était jour de fête dimanche dernier dans deux petits districts de Saint-Pétersbourg. Devant les bureaux de scrutin de Petrovski et Krasnenkaïa Retchka, des clowns distribuaient des cornets de crème glacée aux enfants. Des médecins offraient également des consultations gratuites aux électeurs qui, après avoir exercé leur devoir de citoyen, étaient admissibles au tirage d'une bicyclette.

Tout ce cirque autour de simples élections locales avait sa raison d'être: assurer une victoire éclatante à Valentina Matvienko, candidate dans ces deux districts de l'ancienne capitale impériale. C'est que, selon la loi russe, pour occuper le poste de présidente du Conseil de la Fédération (Sénat) que le chef de l'État, Dmitri Medvedev, lui a offert sur un plateau d'argent à la fin juin, la gouverneure de Saint-Pétersbourg devait tout d'abord être élue sur la scène municipale. Par mesure de précaution, elle a brigué les suffrages simultanément dans deux districts.

La précaution aura été inutile: cette proche alliée du premier ministre Vladimir Poutine a récolté respectivement 93,7% et 94,5% des voix. Les 15 autres candidats - des inconnus - ont dû se contenter de miettes.

Il faut dire que les noms des vrais adversaires n'étaient pas sur le bulletin de vote: les partis de l'opposition n'ont appris la tenue d'élections anticipées dans ces deux districts qu'après la fin de la période des mises en candidature...

Journalistes exclus

Russie unie, le parti dirigé par Poutine, avait bien préparé son jeu: au début du mois de juillet, les conseillers municipaux du parti qui siégeaient dans ces deux districts avaient démissionné en douce, forçant ainsi la dissolution de leur assemblée et le déclenchement d'élections. La Commission centrale électorale avait par la suite rejeté toutes les accusations de manque de transparence dans le processus.

Dimanche, de nombreux journalistes et observateurs de l'opposition se sont vu interdire l'accès aux bureaux de vote. La commission électorale a refusé de recevoir leur plainte pour fraude.

Une fois élue, Valentina Matvienko a déclaré que les résultats soviétiques qu'elle a obtenus démontrent que les électeurs sont satisfaits de ses huit années de travail à titre de gouverneure. Un sondage récent ne lui donnait pourtant que 18% d'opinions favorables chez ses concitoyens, notamment en raison de sa mauvaise gestion du déneigement des rues et des toits de la ville au cours des deux derniers hivers.

Mercredi, le trihebdomadaire Novaïa Gazeta a résumé la tactique du régime poutinien: un «cas typique d'élection où la loi a été respectée à la lettre en apparence, mais où son esprit a complètement été annihilé».

Placard politique

Dans les prochains jours, le président Medvedev devrait officialiser la nomination de Matvienko à la présidence du Sénat. En théorie, la gouverneure démissionnaire de 62 ans sera désormais troisième dans l'échelle du pouvoir, son influence risque de demeurer limitée. Depuis l'arrivée de Vladimir Poutine en 2000, les deux chambres du Parlement russe se sont transformées en salle de validation des lois proposées par le Kremlin.

Dans la blogosphère russe, plusieurs voient donc sa nomination comme une «mise au placard» de l'une des caciques du régime. Le but: éviter que l'impopularité de Matvienko ne nuise au parti majoritaire Russie unie à Saint-Pétersbourg aux élections législatives de décembre prochain.