Le 15 août prochain, le Dr Marcel Tenenbaum se rendra en Pologne, pour un périple qui l'amènera au camp de concentration d'Auschwitz. Ce Montréalais qui a travaillé plusieurs années comme dentiste-conseil à la Direction de la santé publique de Montréal appréhende fortement cette visite. Pour ce survivant de la Shoah, les souvenirs de ces années de terreur sont encore douloureux.

Le Dr Tenenbaum a accueilli La Presse mercredi dans son appartement de Côte-Saint-Luc, à Montréal. Dans un long entretien, il a raconté sa vie. De sa naissance, à Bruxelles en 1935, jusqu'à son prochain voyage, qui l'amènera pour la première fois de sa vie en Pologne, le pays natal de ses parents.

«La guerre a commencé le 10 mai 1940 en Belgique. J'habitais à Bruxelles. J'étais jeune. Mais je m'en souviens très bien. Ma mère attachait mes souliers en pleurant», raconte le Dr Tenenbaum.

Malgré la guerre, le Dr Tenenbaum est entré à l'école en 1941 et a terminé sa première année. Mais les conditions de vie devenaient de plus en plus difficiles. «Les commerçants juifs devaient écrire sur leurs affiches qu'ils étaient juifs. J'ai dû porter l'étoile jaune sur mes vêtements», relate le Dr Tenenbaum.

Dès le printemps 1942, les Allemands commencent à déporter les Juifs de Belgique vers la caserne de Dossin, un «camp de rassemblement» situé entre Anvers et Bruxelles. Les Juifs étaient regroupés dans ce camp avant d'être déportés au camp de concentration d'Auschwitz. «Quand il y avait suffisamment de personnes pour remplir un convoi de wagons à bestiaux, on faisait partir un train», dit le Dr Tenenbaum. En tout, 28 convois ont quitté la caserne Dossin pendant la guerre.

La rumeur de ces départs arrive rapidement à Bruxelles. Pour éviter ce triste sort, les parents du Dr Tenenbaum se cachent chez un certain M. Vannieuwenhoen.

«C'était le premier patron de mon père, qui était tailleur. Nous nous sommes cachés dans un petit espace, dans le haut de sa maison.» Pendant deux ans, le Dr Tenenbaum et ses parents ne sortiront pratiquement pas de cette pièce de 10 mètres sur 5. «J'ai lu. J'ai beaucoup lu.»

Le père du Dr Tenenbaum continuait d'accomplir quelques tâches de tailleur pour son ancien patron. «Il était payé en argent. Il utilisait cet argent pour nous procurer des vivres sur le marché noir.»

Les parents du Dr Tenenbaum ne lui parlent pas des horreurs de la guerre. «Ils ne me disaient pas grand-chose, mais je savais que je n'avais pas le droit de sortir et pas le droit d'aller jouer au parc avec les autres enfants, que je voyais par la fenêtre», dit-il. Dans la nuit du 3 au 4 août 1944, un groupe de SS cogne à la porte des Tenenbaum. La famille ignore qui l'a dénoncée. «Ils nous ont arrêtés et nous ont emmenés à la caserne Dossin.»

Les Tenenbaum devaient être déportés le 15 août, mais le convoi n'est jamais parti. «La police nazie n'a pas pu réquisitionner assez d'essence», explique le Dr Tenenbaum. Qui plus est, les Alliés avaient débarqué en Normandie en juin. «Ils sont allés vers Paris, puis en Belgique, explique le Dr Tenenbaum. Les Allemands savaient qu'ils perdaient la guerre.»

Le dernier convoi a quitté la caserne de Dossin le 31 juillet 1944, 72 heures avant l'arrivée de la famille Tenenbaum.

Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1944, les Allemands ont finalement quitté la caserne Dossin. «Le lendemain, personne n'osait partir. On avait peur de se faire tirer dessus à la sortie, dit le Dr Tenenbaum. Un homme est finalement sorti. Quand on a vu que tout était correct, tous les autres ont suivi.»

Le Dr Tenenbaum et ses parents ont passé la première nuit chez de bons samaritains, non loin de la caserne. «Le lendemain matin, les tanks des Alliés défilaient dans la ville. Mon père était euphorique. Il avait toujours dit que, s'il sortait de ce camp en vie, il serait heureux toute sa vie. Et c'est ce qu'il a fait ensuite», raconte le Dr Tenenbaum, incapable de contenir ses larmes.

Le retour à Bruxelles a été surréaliste, se souvient le Dr Tenenbaum. «J'ai su que mon père n'avait jamais cessé de payer son loyer pendant toutes ces années. On est donc simplement revenus à Bruxelles. Et le lendemain, mon père a rouvert son commerce, comme si de rien n'était.»

La guerre s'est poursuivie encore quelques mois. Les Tenenbaum ont immigré au Canada en 1951.

Un devoir

Aujourd'hui, le Dr Tenenbaum raconte son histoire quelques fois par année dans des écoles. «Je tente de faire comprendre aux jeunes que, quand ils voient quelque chose d'inacceptable, ils doivent le dénoncer», dit-il.

Plusieurs fois, pendant qu'il racontait son récit, le Dr Tenenbaum a sangloté. N'a-t-il pas peur de sa réaction quand il entrera à Auschwitz, dans quelques jours? «Oui. J'y pense toutes les nuits. J'espère ne pas piquer une crise. Mais j'ai le devoir de le faire. Pour tous ces gens qui y ont été envoyés.»