La Serbie se considère libérée d'un fardeau hérité de son passé guerrier des années 90, après l'arrestation mercredi de Goran Hadzic, le dernier fugitif du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), dont le transfèrement devrait intervenir rapidement.

«Au bout de vingt ans, la Serbie est sortie de la cellule et de la prison où se trouvaient le pays et le peuple», a déclaré mercredi le ministre serbe de l'Intérieur, Ivica Dacic, cité par l'agence Beta.

Avec l'arrestation de l'ancien responsable des Serbes de Croatie, «la Serbie clôt le chapitre le plus difficile de la coopération avec le Tribunal de La Haye», avait souligné pour sa part le président serbe, Boris Tadic, en annonçant la capture de Goran Hadzic.

«Nous avons très durement travaillé sur l'arrestation des fugitifs de La Haye ces trois dernières années» (depuis 2008, date de l'entrée en fonctions de l'actuelle coalition gouvernementale pro-européenne), alors que retrouver Osama ben Laden a demandé des efforts de «près d'une décennie», a-t-il ajouté.

Chaque fois que la Serbie a plaidé ces dernières années sa cause pour son avancée européenne, elle s'était fait rappeler par les Européens la nécessité incontournable de coopérer «pleinement» avec le TPIY.

Avec l'arrestation de Goran Hadzic, qui était le dernier fugitif du TPIY, mais aussi le 44e et dernier inculpé que la Serbie devait remettre à la justice internationale, Belgrade estime qu'il peut prétendre totalement désormais à la fin de l'année au statut de candidat à l'Union européenne, ainsi qu'à une date pour l'ouverture des négociations d'adhésion.

L'arrestation de Goran Hadzic est intervenue moins de deux mois après celle, le 26 mai en Serbie, de Ratko Mladic, l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie.

Ratko Mladic était le principal fugitif du TPIY, depuis la capture, en juillet 2008 à Belgrade, de Radovan Karadzic, l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie.

«L'Union européenne ne devrait plus faire chanter la Serbie. Il n'y a plus de raison de poser des conditions à la Serbie sur sa route vers les intégrations européennes», a assuré, avec quelque peu d'assurance, Ivica Dacic, cité par l'agence Beta.

L'arrestation de Goran Hadzic est «un pas de plus dans la bonne direction. Le contrat de ce côté-là (le TPIY) a été rempli», a reconnu devant l'AFP Vincent Degert, le chef de la Délégation de la Commission européenne à Belgrade.

Mais le rapprochement de la Serbie de l'UE dépend aussi d'«autres facteurs», liés aux «réformes internes» en Serbie, ainsi qu'à son adaptation aux critères législatifs européens, mais aussi de la «réconciliation et la coopération régionales», a-t-il ajouté.

Tout en saluant l'«accélération de ces derniers mois» dans les réformes en Serbie et dans le processus de réconciliation, M. Degert a souligné qu'il restait des «dossiers très sensibles» à mener à bien, tels que la restitution des biens confisqués après la Seconde Guerre mondiale, la réforme de la justice et des médias.

Il a déclaré aussi attendre des progrès supplémentaires dans le dialogue avec le Kosovo, en particulier dans le domaine de la libre circulation des marchandises.

La Croatie veut Hadzic

Le gouvernement croate a annoncé jeudi son intention de réclamer l'extradition vers la Croatie de Goran Hadzic, arrêté en Serbie et qui doit être transféré vers le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

Goran Hadzic, arrêté mercredi en Serbie, a été condamné par contumace en Croatie dans deux procès différents, à 8 et à 20 ans de prison respectivement, pour crimes de guerre commis pendant la guerre serbo-croate (1991-95).

Il a également été inculpé pour son rôle dans des crimes de guerre commis à Vukovar, dans l'est de la Croatie, au début du conflit.

«Le gouvernement demande au parquet général et au ministère de la Justice (...) d'entreprendre les mesures nécessaires» pour que Goran Hadzic purge les deux peines en Croatie et pour qu'il soit jugé dans le troisième dossier, concernant Vukovar, a déclaré la première ministre croate, Jadranka Kosor.

Dans une première réaction à l'arrestation de M. Hadzic, Mme Kosor avait dit mercredi qu'il serait «logique» que l'ancien responsable politique des rebelles serbes de Croatie soit extradé vers la Croatie.

Elle avait toutefois expliqué qu'il fallait vérifier «ce qui est réaliste», puisque M. Hadzic est réclamé par le TPIY.

Des experts judiciaires, dont le président croate Ivo Josipovic lui-même, ont affirmé cependant que le TPIY avait la priorité.

Vers La Haye

Le transfèrement de Goran Hadzic aura lieu probablement dès vendredi après-midi, a indiqué son avocat, Toma Fila, à la presse.

«Goran Hadzic a signé par écrit (un texte indiquant) qu'il renonçait à faire appel (de la décision du tribunal serbe pour les crimes de guerre à Belgrade le déclarant transférable) et les conditions pour son transfèrement sont réunies. À partir de vendredi après-midi, il est réaliste qu'il soit transféré», a déclaré Me Fila.

Le fait de renoncer à faire appel rend caduc le délai de trois jours dont l'inculpé dispose pour réagir à la décision du tribunal serbe, a expliqué le magistrat.

«Toutefois, la loi doit aussi faire preuve d'humanisme. Goran Hadzic a renoncé à faire appel et il sera transféré à La Haye après avoir rencontré sa famille aujourd'hui (jeudi) et demain (vendredi)», a-t-il dit.

Le porte-parole du procureur serbe pour les crimes de guerre, Bruno Vekaric, a indiqué à la presse que le transfèrement même de Goran Hadzic dépendrait «d'évaluations sécuritaires».

«Le moment même du transfèrement restera sans doute inconnu jusqu'au début de l'opération», a ajouté M. Vekaric.

«La justice a terminé son travail, comme vous l'avez entendu de la bouche de l'avocat de Goran Hadzic, il (Hadzic) a renoncé à faire appel. Les documents le concernant ont été envoyés au ministère de la Justice où la ministre (Snezana Malovic) signera l'ordre de transfèrement», a ajouté M. Vekaric. Ces documents devaient arriver au ministère «dans le courant de la journée».

Une cavale en Russie

Hadzic a passé la plupart du temps de sa cavale en Russie, ont écrit jeudi deux journaux serbes.

Selon le quotidien de renom Politika, Goran Hadzic s'est caché en Russie et y a même travaillé sous une fausse identité.

La cavale de Goran Hadzic a débuté en juillet 2004, au moment où les autorités serbes venaient de recevoir l'acte d'inculpation du TPIY le concernant.

Après ce séjour en Russie, «les enquêteurs perdent sa trace en 2009 avant de recevoir des informations selon lesquelles il était passé de Russie au Bélarus. Après cela aucune trace», ajoute le journal.

«Les autorités, poursuit Politika, supposent qu'il jouissait du soutien de certains éléments de l'Église orthodoxe serbe qui l'ont aidé à prendre contact avec des gens pour l'aider au Bélarus».

Citant une source proche de l'enquête, le quotidien Blic assure qu'«en sept ans de cavale, il (Goran Hadzic) a passé plus de temps en Russie qu'en Serbie et qu'il a été aidé par des personnes proches de l'ancien chef des services secrets serbes Jovica Stanisic», également incarcéré au TPIY.

«Par deux fois, il s'est rendu et a séjourné en Russie et y a travaillé. Son soutien financier provenait des profiteurs de guerre qu'il avait permis de s'enrichir dans les années 1990», ajoute le journal.

La presse serbe souligne dans son ensemble que Belgrade a rempli ses dernières obligations envers la justice internationale en arrêtant Goran Hadzic.

«Dix-huit ans après la création du tribunal de La Haye, nos autorités n'ont plus une seule obligation envers ce tribunal qui juge les personnes inculpées de crimes de guerre sur le territoire de l'ex-Yougoslavie», note Politika à la Une.

Le journal diffuse également en première page une photographie de Goran Hadzic au moment de son arrestation. Sur cette photographie, apparemment prise dans un bois, Hadzic, le visage barré d'une moustache, y apparaît entouré de policiers cagoulés.