Francesca Paci couvre le Proche-Orient depuis une quinzaine d'années pour le quotidien turinois La Stampa. Jusqu'à l'an dernier, elle n'avait jamais réfléchi au fait que de nombreux chrétiens habitent les contrées qu'elle arpente pour son travail sur l'islam et le conflit israélo-palestinien. À Londres, elle a connu son chemin de Damas et a décidé d'écrire un livre sur les persécutions contre les chrétiens aux quatre coins du monde. Son livre, Dove muoiono i cristiani (Là où meurent les chrétiens), a paru en mars. Nous l'avons jointe récemment à Rome.

«J'ai été frappée par la conversion au catholicisme de Tony Blair, en 2007. Je me suis intéressée à cette histoire et j'ai retrouvé le franciscain qui, pendant 10 ans, a célébré une messe privée et secrète à Downing Street. Je n'avais jamais pensé que la foi chrétienne pouvait nécessiter ce genre de subterfuge dans le monde moderne.»

Dans les dernières années, des manifestations antichrétiennes ont frisé le pogrom dans les pays arabes. Mais la journaliste italienne Francesca Paci a aussi voulu aller voir les chrétiens du côté de l'Inde, de la Chine, de la Corée du Nord, de l'Indonésie et de l'Afrique.

«En Europe et en Occident, nous tenons pour acquise la liberté religieuse, et les institutions chrétiennes représentent la majorité. Elles sont parfois même capables de faire pression sur la société. C'est loin d'être le cas ailleurs dans le monde.»

Elle aborde l'Amérique du Sud, continent catholique s'il en est. «Là-bas, la théologie de la libération a été suivie d'une contestation moins politique, moins marxiste, que les Églises nationales appuient maintenant, explique la journaliste. On a fait beaucoup de cas des sanctions que le Vatican a exercées contre les théologiens de la libération. Mais, encore aujourd'hui, les prêtres de la rue sont la voix des sans-terres, des quasi-esclaves opprimés par des élites en apparence très dévotes, notamment en Amazonie», dit-elle.

«Quand les oppresseurs dépassent les bornes, quand ils assassinent des religieux qui prennent la défense des plus faibles, comme Dorothy Stang [religieuse catholique américaine assassinée en 2005 au Brésil] ou Erwin Kraütler [évêque brésilien qui doit avoir une protection policière à cause de menaces de mort], l'Église cesse d'être spectatrice; elle défend les siens et les plus pauvres. Dans les romans qui décrivent la lutte des petits contre les forts en Amérique latine, on voit souvent la figure du prêtre qui défend ses ouailles.»

La conversion des dalit

Même scénario en Inde, où l'Église catholique recrute des dizaines de milliers de dalit, les fameux intouchables, toujours frappés d'opprobre malgré la Constitution moderne du pays. «Il est certain que le Vatican y voit l'occasion de prendre pied en Inde, dit Mme Paci. Mais on peut aussi voir que l'Église se fait la voix des pauvres et des opprimés, comme le veut l'Évangile. Les dalit, dont personne ne s'occupe, deviennent un enjeu national dès qu'ils veulent améliorer leur sort en se liant à la grande famille catholique, avec ses réseaux d'entraide et ses possibilités d'ascension sociale.»

L'Église ne pourrait-elle pas admettre les dalit dans ses écoles sans exiger qu'ils deviennent catholiques? «C'est ce qu'elle fait, dit Mme Paci. Plusieurs d'entre eux, à un certain point de la scolarité, demandent à se convertir. Le processus de conversion dure deux ans pour que les dalit soient sûrs de ce qu'ils font.»

À l'opposé, au Proche-Orient, ce sont les réseaux internationaux des chrétiens et leur relative prospérité qui les livrent à la vindicte populaire. «Les chrétiens du Proche-Orient sont associés au colonialisme à cause de leur religion. Les anciens opprimés sentent que l'Occident est sur la pente descendante et veulent se venger du passé. L'hostilité contre les chrétiens, qui vivent dans la région depuis près de deux millénaires, est parfois doublée de ressentiment envers leur relative prospérité de marchands. Ils ont des réseaux à l'étranger qui favorisent les affaires et aussi l'émigration. Ironiquement, le nom Égypte provient du grec ancien alors que le mot copte est d'origine arabe. Les chrétiens, dit Mme Paci, qui comptaient pour 20% de la population en Cisjordanie et à Gaza en 1948, ne sont plus que 2%.»

Réfugiés sans refuge

L'Occident accueille beaucoup de chrétiens réfugiés du Proche-Orient. Israël a accueilli les Juifs chassés des pays musulmans dans les années 50 et 60. Les pays arabes ne devraient-ils pas intégrer les réfugiés palestiniens qu'ils tiennent isolés dans des camps? «C'est une manière d'entretenir la crise palestinienne, pour faire taire les revendications de la population, dit Mme Paci. Si les réfugiés palestiniens de 1947 étaient absorbés dans la population, la cause ne serait pas aussi poignante. Certains pensent que les Palestiniens sont aux pays musulmans ce qu'étaient les Juifs à l'Occident dans les années 30: certains veulent les chasser et d'autres les protéger.»