Rupert Murdoch, empêtré dans un scandale d'écoutes, a été contraint de «sacrifier» vendredi Rebekah Brooks, numéro deux de la division britannique de son groupe, après avoir dû fermer le tabloïd News of the World et abandonner un projet clé d'expansion de son empire au Royaume-Uni.

Le nouveau coup de théâtre est intervenu six jours après que le magnat australo-américain --patron de News Corp, désormais visé ou menacé par des enquêtes au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie-- eut traversé l'Atlantique pour apporter son soutien indéfectible à la rousse flamboyante, souvent présentée comme son «septième enfant».

Ma priorité? «C'est-elle», avait-il lâché aux journalistes à son arrivée à Londres.

Rebekah Brooks, 43 ans, directrice générale de News International, branche britannique de News Corp, a préalablement dirigé la rédaction des deux tabloïds britanniques du groupe: Le Sun et l'hebdomadaire News of the World.

Le journal dominical, fermé dimanche après 168 ans de chasse aux scoops, est soupçonné d'avoir piraté les messageries d'environ 4000 personnes: hommes politiques, membres de la famille royale, mais aussi adolescentes assassinées et proches de soldats tués en Irak ou en Afghanistan.

Le départ Mme Brooks semblait unanimement souhaité. «C'est la bonne décision», a laconiquement commenté le premier ministre conservateur David Cameron, un temps réputé proche de «la reine des tabloïds.» «Elle aurait dû partir plus tôt», a seulement regretté le chef du Labour, Ed Miliband. «Bien sûr qu'elle doit partir» avait auparavant tranché le prince saoudien Al Waleed, deuxième plus gros investisseur dans News Corp, implanté en Europe, en Asie et aux États-Unis.

Les trois grands partis britanniques --conservateur, libéral-démocrate et travailliste-- avaient déjà présenté un rarissime front uni mercredi pour exiger l'abandon du projet de rachat de la totalité du bouquet satellitaire BskyB par M. Murdoch.

«Ma démission me donne la liberté et le temps de coopérer entièrement aux enquêtes présentes et futures», a déclaré Mme Brooks, aussitôt remplacée par Tom Mockridge, directeur général de Sky Italia, filiale de News Corp.

Elle comparaîtra mardi devant la commission des médias de la chambre des Communes, en compagnie de Rupert Murdoch et de son fils James, président de News International.

Le panel de députés s'est récemment fait les dents sur trois hauts dirigeants de Scotland Yard, accusé d'avoir bâclé l'enquête et de receler des informateurs corrompus.

Rebekah Brooks et James Murdoch sont également dans le collimateur des enquêteurs qui ont procédé à neuf interpellations, dont celle d'Andy Coulson, politiquement embarrassante. Cet ancien rédacteur en chef du NotW était en janvier encore directeur de la communication du premier ministre.

Le tandem sera enfin appelé devant la commission publique d'enquête créée par M. Cameron afin de faire toute la lumière sur l'affaire des écoutes et de «mettre de l'ordre» dans les pratiques des médias.

Rupert Murdoch s'est voulu rassurant vendredi dans une interview au Wall Street Journal, son titre phare aux États-Unis. Il y estime que son groupe a «extrêmement bien géré la crise», si l'on excepte quelques « menues erreurs».

Il n'en présente pas moins ses excuses pour les «fautes graves commises», dans des encarts signés de sa main à paraître ce week-end dans les journaux britanniques. Et promet «pour les jours à venir» «des mesures concrètes supplémentaires».

Reste que le FBI a ouvert une enquête préliminaire pour établir si des écoutes illégales ont été pratiquées aux États-Unis, notamment auprès de victimes de l'attentat du 11-Septembre.

Et que l'empire paraît menacé. Comme l'illustre la couverture de The Economist, avec un photomontage d'un buste romain lézardé du magnat rebaptisé «MURDOCVS MAXIMVS».

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Qui est Tom Mockridge?

Tom Mockridge, auquel incombe la lourde tâche de reprendre en pleine tempête les rênes de la division britannique du groupe de Rupert Murdoch, est un des plus fidèles lieutenants du magnat de la presse, avec lequel il travaille depuis 20 ans.

Ce Néo-Zélandais de 56 ans, qui occupait précédemment les fonctions de directeur général de Sky Italia, a plusieurs cordes à son arc qui lui seront particulièrement utiles en cette période de crise: ancien porte-parole du gouvernement australien, M. Mockridge, qui débuta sa carrière comme journaliste dans son pays, connaît bien le monde des médias et des relations publiques. Une combinaison précieuse au moment où l'empire Murdoch, secoué par un scandale d'écoutes illégales, est sur la sellette dans plusieurs pays.

M. Mockridge, qui a rejoint Rupert Murdoch en janvier 1991, est aussi considéré comme un proche de James Murdoch, numéro trois du groupe paternel News Corp. et président de News International, sa branche britannique.

«Tom est un dirigeant hors-pair qui a une expérience inégalée dans le journalisme et la télévision», a d'ailleurs souligné le fils cadet du magnat australo-américain dans un communiqué, après l'annonce de sa nomination. «Je suis convaincu que Tom est la personne la mieux placée pour faire aller l'entreprise de l'avant», a-t-il ajouté.

Malgré son long passé au sein du groupe, M. Mockridge n'avait jamais travaillé avant pour News International. Il est donc resté à l'écart du scandale des écoutes téléphoniques.

Mais M. Mockridge aura besoin de tout son savoir-faire pour être à la hauteur de la confiance que lui témoigne M. Murdoch en lui donnant la place occupée par Rebekah Brooks.

Il va lui falloir tenir la barre de la division britannique de News Corp. - qui comprend aussi le Sun, plus gros tirage au Royaume-Uni, le Times et le Sunday Times - au moment où celle-ci traverse la plus importante zone de turbulences de son histoire. En une semaine, M. Murdoch a dû fermer brutalement le NOTW pour tenter d'apaiser la tourmente et renoncer au rachat de la totalité du bouquet satellitaire BskyB, au coeur de sa stratégie d'expansion au Royaume-Uni.

La priorité immédiate de M. Mockridge sera de s'occuper de la conduite des affaires du groupe, tandis qu'un autre dirigeant, Will Lewis, sera chargé de gérer le scandale des écoutes. Sous la direction du Néo-Zélandais, Sky Italia a vu le nombre de ses abonnés atteindre les cinq millions.

L'homme est aussi un habitué du combat politique. Pendant ses années italiennes, il a dû affronter à plusieurs reprises le chef du gouvernement Silvio Berlusconi, qui contrôle Mediaset, un groupe de médias rival. Une expérience qui devrait lui être utile au moment où la classe politique britannique fait front commun pour dénoncer les pratiques au sein de News Corp. et a fait pression avec succès sur Rupert Murdoch pour qu'il retire son offre sur BskyB.