Les traits tirés, épuisés par la chaleur, ils reprennent des forces à l'ombre après trois jours de marche dans les collines de Bosnie en mémoire de leurs coreligionaires musulmans fuyant en juillet 1995 l'enclave de Srebrenica, où allait se produire le plus important massacre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ils sont de six à huit mille, selon les sources, à avoir cheminé en direction du mémorial de Potocari, près de Srebrenica (est), empruntant le chemin inverse pris par les musulmans bosniens qui fuyaient, éperdus, les forces serbes de Bosnie du général Ratko Mladic.

Celui-ci allait s'emparer, le 11 juillet, de l'enclave de Srebrenica et quelque 8000 musulmans, adultes et adolescents, allaient périr en l'espace de quelques jours.

Ce massacre a été qualifié de génocide par la justice internationale et 613 cercueils contenant les restes de victimes du massacre devaient être mis en terre lundi, rejoignant environ 4500 tombes qui s'y trouvent déjà.

«Je suis ici par respect envers les victimes. C'est le moins que l'on puisse faire», déclare Imer Mehanovic, 17 ans, qui participe pour la quatrième fois à cette «marche de la paix» annuelle.

Drapeaux de la Bosnie flottant au vent, avec également une bannière verte de l'islam et un drapeau turc, une centaine de marcheurs arrivent devant le mémorial, bientôt rejoints par d'autres que l'on devine s'approchant dans les collines.

Ils scandent «Allah akbar» (Dieu est le plus grand) pour célébrer la fin de leur périple.

«Je veux rendre hommage aux morts, pour que les jeunes n'oublient pas», dit Mesud Cocalic, 50 ans.

Les marcheurs se dispersent parmi les tombes ouvertes, entourées de terre fraîchement remuée.

Sulejman Aljic, 31 ans, soupire: «Chaque anniversaire est difficile pour nous». Il se retourne, esquissant un geste vague de la main: «Ici, j'ai un cousin. Il avait 21 ans».

Et pour lui, l'arrestation fin mai de l'ancien chef militaire des Serbe de Bosnie, Ratko Mladic, considéré comme le principal responsable du massacre de Srebrenica, ne change guère les choses.

«Cela aurait dû se passer plus tôt», relève-t-il en s'exaspérant du «cynisme» de l'ancien militaire lors de ses comparutions devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

«Les Serbes considèrent Ratko Mladic comme un Dieu», estime Sead Bektic, 51 ans. Et d'ajouter: «Dans mon village, il y avait 110 hommes. Il n'y en a plus que dix».

Et tous, ou presque, partagent le même pessimisme sur une amélioration éventuelle des relations entre Serbes et Musulmans de Bosnie, en dépit du fait que Ratko Mladic soit désormais devant la justice internationale.

Seize ans après, les murs paraissent toujours aussi grands.

«Je pense que rien ne changera. En tout cas de mon vivant», assure Hanka Buzar, une jeune fille de 17 ans. «Les relations ne s'amélioreront jamais. Tout est trop récent» pour qu'il y ait une amélioration, ajoute-t-elle.

«Ce n'est pas son arrestation (de Ratko Mladic) qui va arranger les choses. Il est trop tard», renchérit Imer Mehanovic.

Sulejman Aljic, qui retourne régulièrement à Srebrenica, confie ne croiser les Serbes que «pour les affaires». «Mais on ne s'attarde jamais pour prendre un café. Nous n'avons rien à nous dire». Avant de murmurer: «Avant, on travaillait, on mangeait et buvait ensemble» avec les voisins serbes.

L'historien franco-allemand Nicolas Moll, spécialiste des questions de réconciliation, souligne la «grande dignité» de la marche qu'il a accompagnée avec quelques étrangers et au cours de laquelle, relève-t-il, il a été fort peu question de Ratko Mladic.

Parler de réconciliation à l'heure actuelle, «le message ne passe pas», ajoute-t-il. L'accord de paix de Dayton, qui a mis fin à la guerre de Bosnie, n'a fait que «séparer les communautés (...) Sans mettre en place un système pour vivre ensemble».